Par Bruno Meessen, Basile Keugoung et Allison Gamble Kelley

Le 16 décembre, se tenait à Tokyo un sommet sur la Couverture Sanitaire Universelle (CSU). Bien plus modestement, le même jour, démarrait à Cotonou un atelier de la Communauté de Pratique Prestation des Services de Santé consacré au renforcement des systèmes locaux de santé en Afrique. Cette actualité croisée a inspiré le dessin ci-dessous. Au nom des trois Communautés de Pratique qu’ils facilitent, Bruno Meessen, Basile Keugoung et Allison Gamble Kelley formulent un vœu pour 2016.

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Pour nous, comme pour beaucoup, la semaine du 14 décembre était la dernière semaine d’activités de l’année 2015. Nous étions à Cotonou pour diverses activités des Communautés de Pratique, dont un atelier s’inscrivant dans le prolongement de la conférence de Dakar (nous vous reparlerons de cet atelier prochainement). C’était aussi pour nous une semaine de présence sur Twitter et Facebook : nous partagions les scénarios gagnants de notre concours « Dessine-moi la Couverture Sanitaire Universelle ». Pour rappel, ce concours a consisté à demander aux experts du monde entier des produire des scenarii relatifs à la CSU, pour ensuite confier leur dessin à Damien Glez. Vous avez sans doute vu passer ces dessins (parcourez notre blog sinon).

La même semaine se tenait à Tokyo un nième sommet pour la Couverture Sanitaire Universelle. Comme beaucoup d’événements similaires antérieurs, il rassemblait ce que certains appellent désormais l’aristocratie de la santé mondiale : une liste assez stable de directeurs d’agences et d’experts, qui sont souvent masculins, occidentaux et anglo-saxons.

Avant toute chose, nous tenons à exprimer notre gratitude à ceux qui ont fait du plaidoyer pour la CSU ces dernières années. L’intégration de la CSU parmi les objectifs de développement durable, on la doit en grande partie à eux. Nous comprenons aussi que le plaidoyer a ses contraintes, parmi lesquelles la nécessité d’une présence régulière dans les pays accompagnant, politiquement et financièrement, l’effort mondial. Le fait que le Japon organisera le prochain sommet du G7 est en effet une opportunité à saisir. Mais voilà : le 17 décembre au soir, nous avons dîné avec un haut cadre d’un ministère de la santé d’un pays d’Afrique de l’Ouest ; il avait le cœur lourd en nous parlant du recul de l’agenda de la CSU dans son pays, notamment en termes de confiance entre acteurs nationaux.

Ce soir-là, le fossé entre la stratosphère de la santé mondiale et les acteurs du terrain nous a paru tellement grand. Il nous était impossible de rester passifs. Nous avons demandé au dessinateur Glez de finaliser rapidement un dessin déjà en commande (celui en bas de ce blog). Nous avons aussi passé commande d’un nouveau dessin décrivant la face « santé mondiale » de la dynamique CSU; il s’agit du dessin ci-dessus. Nous avons convenu que ce couple de dessins serait utilisé pour nos vœux de nouvelle année.

Un fossé croissant entre le discours et l’action

Comme facilitateurs de Communautés de Pratique, nous aimerions exprimer un vœu très simple pour 2016 : que la réalité des défis du ‘terrain’ reçoive plus d’attention de la part des hérauts de la CSU.

A Tokyo, le Président de la Banque Mondiale, Jim Yong Kim a reconnu que “Nous n’avons pas été performants jusqu’à présent dans ce voyage vers la Couverture Sanitaire Universelle… Nous n’avons pas été à la hauteur des attentes” (voir ici). Nous pensons que ce bilan, exprimé probablement au nom des agences, est lucide (1).

Sur la CSU, il y a certainement des progrès ici et là, mais trop peu pour éviter un décalage croissant entre les discours au niveau international et national d’une part et les réalisations au niveau des pays d’autre part. C’est en tout cas la situation dominante sur le continent africain. Comme l’a très bien exprimé un expert de la République Démocratique du Congo avec son scenario, il importe que l’histoire ne se répète pas.

Nous avons lu les tweets de Richard Horton depuis Tokyo. Oui, la CSU est un enjeu politique ; oui, ce serait bien d’en faire une cause mondiale comme la lutte contre le réchauffement climatique. Mais nous en sommes loin. Les réalisations concrètes tardent.

Les causes sont diverses. L’une d’entre elles pourrait être la relative panne d’inspiration du mouvement mondial : il nous semble que jusqu’à présent, on a surtout répété ce que l’on sait faire : du plaidoyer, des rapports mondiaux, du fundraising,… Tout cela est utile, mais cela ne fait pas pour autant une théorie de changement, en particulier pour les pays les plus pauvres.

CUS_2_experts_fatigues2Sans contester que la CSU soit un enjeu politique, notre quotidien de facilitateurs de Communautés de Pratique nous indique que la CSU est aussi un enjeu technique. Il y a de gros défis à ce niveau et certains semblent en-dessous du radar des agences internationales. L’articulation entre l’action politique et l’action technique au niveau national devrait aussi recevoir bien plus d’attention : si nous ne comprenons pas la mécanique du changement sociétal ou systémique, nous nous condamnons à d’amères désillusions. Pour que la CSU devienne réalité au niveau des pays, une de nos hypothèses est qu’il va notamment falloir développer un mouvement bien plus inclusif (et les innovations sociales qui vont de pair).

Cela demande une part de réinvention de notre action, y compris au niveau des Communautés de Pratique. C’est le sillon que nous continuerons à creuser en 2016.

Nous vous souhaitons une année 2016 fructueuse !

 

Note: (1) Monsieur le Président de la Banque Mondiale, nous aimerions à l’occasion aussi partager avec vous notre analyse sur l’agenda de la ‘science of delivery’ – une de vos propositions personnelles de début de mandat qui nous semble avoir été guère exploitée jusqu’à présent.

 

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One Response to Edito : Un vœu pour 2016

  1. ROGER ETOA says:

    Je loue les initiatives prises au niveau international. Il faut continuer dans ce sens. Mais il faut aussi renforcer les capacités des acteurs au niveau péripherique sur des questions de financement de la santé et d’accès aux soins. Par exemple, j’ai bien l’envie de monter un projet de financement et de soutien des personnes vivant avec le VIH/SIDA dans mon district de santé (à Ngoumou au Cameroun), mais je n’en ai ni l’expertise, ni les rouages. Nous (la base des systèmes de santé africains) voudrons bien être intégrés à la réflexion et à la plannification des initiatives de financement de la santé en Afrique. Encore merci et bravo pour votre leadership encadrant à l’atelier de Cotonou!

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