Par Basile Keugoung, MD, MPH, PhD
Facilitateur CoP Prestation des Services de Santé

J’ai participé du 19 au 21 mai 2015 au Colloque Ebodakar 2015 dont le thème s’intitulait “Epidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest –Approches ethno-sociales comparées” .
J’ai présenté le projet de Mobilisation 2.0 des équipes cadres de district dans la lutte contre les maladies à potentiel épidémique. Mais je vais surtout m’appesantir sur les leçons que j’ai tirées de ce Colloque au-delà bien sûr du partage d’expériences, de l’acquisition de nouvelles connaissances et du réseautage.

Lutte contre Ebola : un oubli des sciences sociales
Ce qui m’a frappé en premier c’est que dans les pays les plus touchés (Liberia, Guinée, Sierra Leone), les acteurs des sciences sociales n’ont été impliqués que très tardivement suite à l’échec du modèle biomédical de répondre efficacement à l’épidémie. En effet, plusieurs facteurs ont plombé le contrôle de l’épidémie au rang desquels les rumeurs, les réticences des populations aux mesures de contrôle, le refus même des interventions, l’agression des responsables sanitaires ou l’attaque des centres de traitement d’Ebola. Les rumeurs ont contribué à réduire la confiance des populations au aux autorités sanitaires, aux Organisations Non gouvernementales et au système de santé en général.

Deuxièmement, il est ressorti que les messages de sensibilisation étaient inadaptés au début. Par exemple, Ebola était présenté comme une maladie grave sans traitement.
Le troisième fait social était la faible communication entre les patients internés dans les Centres de traitement et leurs familles. Même si la nécessité de l’isolement du patient atteint d’Ebola s’imposait pour réduire le risque de propagation de la maladie.
Enfin, le mode d’inhumation des corps était fortement critiqué par les populations dans des contextes où les cérémonies funéraires ont une place importante dans la culture.
C’est en réaction à ces problèmes que les sociologues et les anthropologues ont été appelés pour aider les autorités sanitaires à mieux répondre à l’épidémie et à mieux communiquer avec les communautés.

Une prépondérance du modèle biomédical dans la lutte contre les épidémies
J’étais médecin chef de district pendant plus de 10 ans. La région dans laquelle je travaillais avait régulièrement des épidémies de choléra, de méningite et de rougeole. Les plans de lutte se concentraient exclusivement sur la mise en œuvre des mesures de contrôle épidémiologique de l’épidémie. En phase pré-épidémique, nous procédions à la sensibilisation des populations avec implication des leaders religieux, des chefs traditionnels et des élites dans la transmission des messages. Des dépliants et des affiches étaient produits par le niveau central. Le niveau régional actualisait les directives de lutte contrôle la maladie spécifique (choléra, méningite). Je n’avais jamais rencontré au cours de ces 10 années un anthropologue ou un sociologue pour nous appuyer ou nous guider dans la lutte contre ces épidémies. Evidemment, au niveau de l’équipe cadre de district, nous accusions les populations de ne pas respecter les mesures de prévention qui leur étaient prodiguées. Chaque année, au moins 10 districts de santé sur une vingtaine déclaraient une épidémie de choléra ou de méningite.

Quelles perspectives ?
Nous pouvons tirer les leçons à partir des retards et des erreurs observés dans la lutte contre Ebola, du VIH/SIDA dans les années 80-90 et d’autres épidémies pour développer de nouvelles perspectives. Les Agences (OMS, Unicef…) et les Organisations Non Gouvernementales qui appuient les systèmes de santé en Afrique sub-saharienne devraient changer de paradigme en matière de réponse aux défis sanitaires. Il s’agit d’inclure les aspects psycho-sociaux et anthropologiques dans toute planification de la lutte contre les problèmes de santé. Jusqu’ici, le médecin est resté la plaque tournante de tout le système de santé. Il cherche à jouer tous les rôles non seulement médical mais aussi celui dévolu aux sciences sociales. La valorisation de la dimension sociale par ces Agences devraient aboutir non plus au recrutement d’un expert médical pour lutter contre une épidémie mais plutôt à la constitution d’une équipe pluridisciplinaire.
Au niveau des pays, les équipes de santé ne devraient plus être uniquement biomédicales. Au niveau district et régional, les médecins et les infirmiers dominent. Ce qui est naturel. Les autres acteurs se recrutent surtout parmi les financiers, les informaticiens, ou dans l’hygiène et assainissement. Il est dont crucial d’inclure les acteurs des sciences sociales dans les équipes de gestion régionales voire du district. Dans un monde qui évolue de plus en plus vers la spécialisation, le médecin ne peut plus jouer tous les rôles. Il ne sera d’ailleurs pas efficace et ce serait tout à fait normal. Un sociologue et un anthropologue au niveau régional aiderait à mieux comprendre les déterminants sociaux des problèmes de santé, les interprétations sociales de la maladie, les perceptions sociales des solutions proposées. Il contribuera donc à l’adaptation des solutions (parfois) génériques au contexte social et culturel.
En conclusion, la santé s’est longtemps reposée en Afrique sub-saharienne sur le modèle biomédical. Le modèle de district adopté à Hararé il y a plus de 25 ans avait pourtant prôné un modèle de soins centrés sur les communautés à travers des soins de santé primaires renforcés. Il est temps de revenir et de mettre en œuvre ce principe en incluant les acteurs des sciences sociales dans les équipes de gestion des services et des systèmes de santé.

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One Response to Edito – Epidémies d’Ebola, choléra, méningite…: ou la prépondérance du modèle biomédical dans les systèmes de santé en Afrique sub-saharienne

  1. Nimer Ortuno Gutierrez says:

    Cher Basile merci de partager cette expérience. Sans doute le besoin de travailler avec une équipe multidisciplinaire qui inclut un expert dans les aspects psycho sociaux est un besoin vivement ressenti. Nous l’avons vécu en Guinée avec l’épidémie Ebola, mais aussi avec la prise en charge de la Tuberculose. Ainsi, pour cette maladie où le malade doit se rendre de manière obligatoire au centre de santé pour la prise supervisé des médicaments, nous constatons de nombreux facteurs qui empêchent son application (coûts directs, indirects, disponibilité du personnel sanitaire, acceptabilité culturel, etc.), nous devons donc trouver une autre stratégie pour mettre en œuvre cette stratégie. Pour la prise des ARV, MSF Belgique a des médiateurs psycho-sociaux qui avant le démarrage de la prise de ces médicaments, organisent des séances de sensibilisation, ainsi l’observance aux ARV est mieux acceptée. Nous allons travailler ensemble pour adapter les modules de formation de MSF pour la TB, identifier personnes clés de la communauté pour impliquer dans l’accompagnement des malades mais aussi sur la sensibilisation (sur base de critères comme la disponibilité pour faire ce travail, le respect au niveau de la communauté, niveau d’éducation, acceptabilité de la part du malade, etc.), ensuite organiser la formation conjointe MSF/AD, puis faire le suivi et analyser les résultats de cette collaboration sur base de l’issue du traitement des malades sous traitement antituberculeux. Je crois que cet exemple montre à quel point nous pourrions travailler ensemble en combinant l’approche biomédicale à l’approche physico-sociale.

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