Par Bruno Meessen
Ce vendredi matin, j’étais invité à participer à une session de la Commission des Affaires Sociales et de l’Environnement de l’Assemblée Parlementaire Paritaire ACP-EU organisée au Parlement Européen à Bruxelles. J’avais été sollicité, via l’ONG Global Health Advocates, pour partager mes analyses sur les défis du financement de la santé dans les pays d’Afrique, Caraïbes et Pacifique.
Avant moi, mon amie Mit Philips de Médecins Sans Frontières a fait une intervention sur Ebola. Sa présentation se concentrait principalement sur les conséquences systémiques de l’épidémie dans les pays touchés. A plusieurs reprises, elle a utilisé le mot « confiance ». Confiance des communautés dans les services de santé, confiance dans le gouvernement, confiance du personnel, confiance dans les autorités locales…
Après son intervention, nous avons pu entendre diverses réactions, notamment celles d’un parlementaire de Sierra Leone et de l’ambassadeur de Guinée. Tous les deux ont exprimé des remerciements (notamment à Médecins Sans Frontières), ont rapporté ce qui avait été fait dans leur pays et partagé plusieurs observations. Tous deux ont formulé la demande d’une plus grande transparence sur l’usage des fonds ‘Ebola’.
Ebola : la nécessité d’une plus grande transparence
Un petit débat s’en est suivi. Un responsable de ECHO, l’agence humanitaire de la Commission Européenne, a donné un début de réponse. J’ai compris qu’il fallait distinguer ce qui a été promis (pledged), ce qui a été alloué (committed) et ce qui avait dépensé (disbursed). La Présidente de la commission, Michèle Rivasi, a été plus ferme : est-ce que cette crise Ebola ne pourrait pas servir d’expérience pilote pour développer un système de redevabilité plus abouti sur l’usage des fonds de l’aide internationale?
L’intervenant ECHO a informé l’audience que les Nations Unies veillaient à cet aspect (voir ce site). Cet effort d’OCHA est bien sûr crucial. Mais je ne suis pas sûr ce que ce soit suffisant.
D’une part, ce qui m’a frappé dans l’intervention du parlementaire sierra léonais est que la crise de confiance se diffuse à des niveaux que depuis Bruxelles, Washington ou Genève, nous ne prenons pas en compte. On peut ainsi imaginer que les populations et communautés des pays concernés ont entendu qu’il y a eu beaucoup d’argent pour lutter contre Ebola, mais elles peuvent penser que très peu soit arrivé à leur niveau. Que cette analyse soit vraie ou fausse, au final, ceux qui paieront le coût de la défiance, ce seront avant tout l’Etat, le gouvernement local et les fonctionnaires locaux et surtout les populations bénéficiaires. On sait aussi qu’un des nombreux défis de la Guinée, du Liberia et de la Sierra Leone se situe justement au niveau de la confiance dans l’Etat. Ainsi, concernant le niveau de redevabilité et de participation des populations, ces trois pays sont à la traîne, avec des scores respectivement de 17,06 ; 33,18 et 36,02 sur une échelle de 0 à 100.
D’autre part, le tracking de OCHA est plutôt tourné vers le haut (on peut deviner que le premier souci des Nations-Unies est de s’assurer que les pays donateurs qui ont fait des annonces tiennent leur engagement, en particulier si c’est à destination des agences onusiennes !). Il est beaucoup moins abouti dans le suivi des sommes qui arrivent réellement aux populations. Bien sûr, le plus important pour elles est le service qu’elles reçoivent et le résultat (le traitement, la mise sous contrôle de l’épidémie et son extinction, puis la reconstruction), mais il est légitime qu’elles soient aussi informées sur les ressources qui leur ont été, directement ou indirectement, destinées.
A cet égard, ma réponse à Madame Michèle Rivasi est « oui, nous devons mettre en place de nouveaux mécanismes de tracking de ces fonds marqués ». Parler de renforcement des systèmes de santé en post-Ebola tout en ne progressant pas en matière de redevabilité serait en fait contradictoire. Toutefois, cette redevabilité ne concerne pas que les pays, elle inclut les agences onusiennes, les agences de coopération et les autres ONG qui sont récipiendaires des fonds et mettent en œuvre les interventions sur le terrain.
Du côté des Communautés de Pratique, nous croyons que de nouveaux modèles peuvent être mis en place. Nous pensons même pouvoir jouer un rôle original. En combinant la présence de nos membres dans tous les systèmes de santé des pays africains, y compris au niveau décentralisé, et les avancées technologiques, nous sommes peut-être capables de récolter une information aujourd’hui non disponible. Nous espérons pouvoir vous en dire plus dans quelques semaines, mais sachez qu’une initiative intéressante de ce type est en préparation.