Dr NANGUE CHARLETTE, Médecin anatomo-pathologiste, CHU de Yaoundé, Cameroun
Je commence cet éditorial par l’histoire d’une jeune femme de 35 ans, mariée et mère de 3 enfants, qui a consulté à l’Hôpital Central de Yaoundé pour ménométrorragie évoluant depuis quelques semaines. L’examen physique avait mis en évidence une lésion bourgeonnante et hémorragique du col de l’utérus. Une biopsie a été faite et envoyée au laboratoire d’anatomopathologie. Le diagnostic de carcinome épidermoïde invasif a été posé. Il est à noter que la patiente n’avait jamais fait de frottis cervico-vaginal (FCV). Une hystérectomie totale a été réalisée.
Evidemment l’histoire de cette jeune femme fait mal. En effet, comment a-t-elle porté cette lésion pendant de si nombreuses années jusqu’à ce que le diagnostic soit posé à l’œil nu ? Son cas n’est certainement pas unique. Nous recevons de nombreuses pièces biopsiques au laboratoire d’anatomopathologie contenant une volumineuse tumeur.
Même si la Journée mondiale de lutte contre le cancer a été célébrée ou se célèbre chaque année, en matière de lutte contre le cancer, les politiques changent très peu et les pratiques des professionnels de santé sont peu orientées vers la prévention et le dépistage précoce.
Le cancer du col de l’utérus est le deuxième cancer de la femme au Cameroun. Selon les données du Comité National de Lutte contre le Cancer, il représente 20 à 25% de tous les cancers féminins et forme avec le cancer du sein 50% de tous les cancers de la femme au Cameroun.
Le cancer est une maladie grave dont le diagnostic est presque synonyme de mort dans notre contexte. Il se développe de façon insidieuse et ne devient clinique qu’à un stade très avancé de la maladie. Pour qu’il soit curable, il faut que le diagnostic soit très précoce, à un stade infraclinique.
Le cancer du col de l’utérus et l’un des rares, sinon le seul cancer dont la prévention est possible et totale grâce à la réalisation du FCV. Le FCV est un examen simple et peu couteux qui permet de dépister les lésions précancéreuses. La prise en charge de ces lésions permet d’éviter le cancer du col de l’utérus. La réalisation systématique de cet examen dans les pays développés a permis de réduire de façon considérable la prévalence de ce cancer.
Au Cameroun, le taux de dépistage par le FCV est extrêmement faible ; les cas prescrits par les médecins sont infimes et les cas de dépistage volontaires le sont encore plus. Le personnel médical ne semble pas connaitre l’intérêt du FCV, et quand bien même il le connait, il n’a pas le reflexe de le prescrire. Le cas de cette patiente qui a été enceinte trois fois et chez qui aucun FCV n’a jamais été demandé l’illustre clairement. La population n’est pas informée sur la prévention de ce cancer par le FCV, et par conséquent adhère peu au dépistage volontaire. Le problème du diagnostic tardif est étendu à tous les autres cancers au Cameroun. Les patients arrivent en consultation lorsque le cancer est à un stade clinique avancé. Par ailleurs, les pièces opératoires, les pièces d’exérèse chirurgicale et le matériel d’avortement ne sont envoyés pour analyse histologique que lorsqu’ils sont cliniquement suspects, ce qui contribue au diagnostic tardif des cancers.
Le diagnostic de cancer ne peut être posé qu’au microscope par un médecin anatomopathologiste. Sauf pour de rares cas, le diagnostic de cancer ne devrait pas être posé seulement sur la base de l’examen clinique. D’où la nécessité de faire une analyse histologique de tout tissu prélevé sur un patient.
Certains cancers peuvent être prévenus par la vaccination. Le vaccin contre le virus Papilloma humain prévient le cancer du col de l’utérus mais il n’est pas encore inclus dans le Programme Elargi de Vaccination au Cameroun. De même, le vaccin contre l’hépatite B n’est gratuit que pour les enfants de 0 à 5 ans. Il est à noter que le Cameroun fait partie des pays ayant trois pays ayant la plus forte prévalence de l’hépatite virale B dans le monde.
Afin de lutter efficacement contre le cancer du col de l’utérus au Cameroun, il faudrait :
- Inclure le vaccin contre le virus Papilloma humain dans le Programme Elargi de Vaccination chez les filles à partir de l’adolescence. Ce vaccin doit être fait avant les premiers rapports sexuels et permet de protéger contre 70% des souches.
- Subventionner le FCV chez les femmes en âge de procréer pour le rendre accessibles à toutes les femmes. Pour les professionnels de santé, le FCV doit devenir un examen systématique à réaliser chez la femme en âge de procréer. Il doit être réalisé tous les 3 ans. Il permet de dépister et de traiter des lésions infracliniques qui pourraient se cancériser ultérieurement.
- Dans les pays développés, le dépistage va au-delà du FCV pour rechercher le virus Papilloma humain et le traiter.
Pour les populations, il faudrait donc :
- Sensibiliser les populations sur le cancer en général, et le cancer du col en particulier, et sur les méthodes préventives dont le FCV
- Impliquer les services médicaux en milieu scolaire et dans les services sociaux dans la prévention et le dépistage du cancer du col
Pour les professionnels de santé, il faudrait qu’ils adoptent de bonnes pratiques en matière de lutte contre les cancers. En effet, les pays à faible revenu font face aujourd’hui à la transition épidémiologique avec émergence de maladies chroniques non transmissibles telles que les maladies cardiovasculaires et les cancers. Il ne faudrait plus seulement penser à rechercher des infections chez les patients. Il est regrettable que des patients hypertendus ou diabétiques ne soient diagnostiqués qu’à la suite de complications. Ainsi, le FCV doit devenir un examen systématique chez toute femme en âge de procréer. Cet examen s’il est effectué chez chaque femme tous les 3-5 ans permettrait d’éviter plus de la moitié des cancers du col.