Par Maymouna BA, Socioanthropologue, CREPOS, Dakar-Sénégal
Du 12 au 13 décembre 2014 s’est tenue à Rabat la 2ème rencontre annuelle des promoteurs et facilitateurs des Communautés de Pratiques de HHA. Dans ce billet de blog, Maymouna BA partage les moments forts de cet atelier. Elle revient sur les forces, les faiblesses, mais aussi les perspectives d’avenir de ce modèle de gestion des connaissances appliqué aux programmes de santé.
La gestion des connaissances constitue un défi dans la mise en œuvre des programmes de santé dans les pays à faibles revenus. Les communautés de pratiques (CdP) entendent combler cette lacune et se veulent des plateformes efficaces dans ce domaine. La 2ème rencontre annuelle des promoteurs et facilitateurs des CdP de HHA, qui s’est tenue du 12 au 13 décembre à Rabat, montre que ces dernières s’inscrivent bien dans cette voie. Cet atelier, qui a réuni une vingtaine de participants, avait pour objectif de dresser le bilan des CdP et de relever les défis et perspectives.
Les CdP se distinguent dans le paysage international par leur caractère informel et virtuel. Cette spécificité, qui peut paraitre à bien des égards comme une faiblesse[1], fait en réalité leur force. En effet, depuis leur apparition en 2010, les CdP se sont davantage structurées. Elles se sont agrandies en nombre et ont renforcé leur assise spatiale (présence dans presque toutes les régions du monde). Tout en réaffirmant leur ancrage au mécanisme HHA, elles ont exploré des synergies entre elles mais aussi avec d’autres formes de réseaux. L’originalité de la contribution des CdP réside dans leur démarcation par rapport à un modèle classique de partage des connaissances.
L’institution d’un modèle collaboratif bottom up « accroche » à plus d’un titre. Ce modèle innovant, qui « casse » la distance entre détenteurs de savoirs évoluant dans des sphères et niveaux de responsabilités différents, valorise l’expression d’expériences multiples et riches. Les CdP, notamment « Financement Basé sur la Performance » et « Accès Financier aux Soins de Santé », se positionnent aujourd’hui comme des plateformes de référence pour le partage des connaissances dans le financement de la santé. Ces deux CdP mènent d’ailleurs un projet de recherche collaboratif, le projet Muskoka, qui analyse les défis de la Couverture Universelle en Santé dans une dizaine de pays francophones d’Afrique de l’Ouest. Cette recherche contribue à donner plus de légitimité aux CdP en termes de stratégies d’extension des savoirs. Les CdP naissantes (« Prestations des Services de Santés » (PSS), « Planification et Budgetisation des Services de Santé », « Ressources Humaines en Santé ») comptent ainsi suivre leurs pas et s’activent dans la même lancée.
Les membres des CdP se révèlent donc être des acteurs de changement. Elles détiennent une force de mobilisation réelle, laquelle suscite un intérêt grandissant chez les organisations qui œuvrent pour les mêmes objectifs, à savoir le renforcement des systèmes de santé africains. En témoignent l’intégration de la CdP AFSS comme membre consultatif du Groupe de travail régional de l’UEMOA et les multiples collaborations en cours avec plusieurs institutions.
Il faut dire que la force des CdP réside dans leur capacité à s’intégrer dans un processus apprenant. A l’instar des smart phones, elles s’ajustent aux opportunités nouvelles, mettent à jour leurs stratégies d’action et n’hésitent pas à tester de nouvelles « applications ». Les CdP ont ainsi diversifié leurs méthodes de partage des connaissances. Les rencontres face à face se sont multipliées. Les webinaires sont venus enrichir les forums de discussion, bulletins d’information et autres blogs. La participation active des CdP à des conférences internationales[2], à travers la tenue de stand, l’organisation de session satellite…) a amélioré leur visibilité. La migration de certaines CdP vers la plateforme « knowledge gateway » entre dans cette dynamique de positionnement.
Forte de tous ces acquis, les CdP étalent aujourd’hui de grandes ambitions. D’autres projets multi-pays de recherche-action sont déclinés, à l’instar de celui sur l’épidémie d’Ebola que va explorer la CdP PSS. Toujours dans l’optique de l’innovation, ce projet compte investir les réseaux sociaux dans sa démarche de recueil et de diffusion de l’information. Le développement d’un projet en ligne (wiki projet) qui va produire un système de gratifications en fonction des contributions des membres, s’inscrit dans la même dynamique ; tout comme l’expérimentation d’un « hub CoP PBF » en RDC ou le développement de séries de wébinaires en 2015.
Les défis sont cependant importants. Ils sont liés à la facilitation et la modération d’une part (en terme de motivation et des compétences requises). D’autre part, la participation active des membres constitue toujours un goulot d’étranglement. Ces défis font que même si le rôle des CdP dans le renforcement des systèmes de santé n’est plus à démontrer, elles restent fragiles et peinent à exploiter pleinement les nombreuses opportunités de partenariats à leur portée.
Nous, membres des CdP, devons donc nous montrer smart et exploiter au mieux les perspectives qui se dessinent de plus en plus clairement. Le devenir des CdP dépendra de la visibilité et de la crédibilité que nous continuerons à lui apporter. Il est fonction de nos contributions régulières et des nos fructueux échanges. Il est aussi soumis à notre engagement actif et notre volonté à se constituer en relais avec nos réseaux respectifs, de sorte à enrôler toute personne que nous jugeons capable d’apporter de l’enthousiasme et du dynamisme. Bref, il nous appartient tout simplement de faire vivre la flamme CdP, si nous voulons faire pleinement profiter de cette innovation à nos systèmes de santé.
[1] Le manque de personnalité juridique des CdP limite leur potentiel en termes de levée des fonds
[2] Notamment la 3ème conférence de l’Association Africaine d’Economie et Politique de la Santé tenue à Nairobi, le 3ème symposium global sur la recherche en systèmes de santé au Cape Town