Par Alpha Ahmadou Diallo, Enseignant–Chercheur à la Chaire de Santé Publique, UGANC

Depuis le début de l’année 2014, la Guinée –pays de l’Afrique de l’Ouest, 11.3 millions d’habitants- fait face à une épidémie de Fièvre hémorragique virale Ebola (FHE) dont l’épicentre a été le district sanitaire de Guékédou, situé au Sud du pays et frontalier à la fois de la Sierra Léone et du Libéria.

En effet, dans un village de ce district sanitaire, une maladie dite mystérieuse est survenue tuant successivement plusieurs membres d’une même famille. Un agent de santé de Guéckédou qui a pris en charge un cas a été malade et a décidé de se rendre à l’hôpital de district de Macenta où il avait un proche (le directeur de l’établissement de soins). Celui-ci a aussitôt pris soin du malade qui est décédé quelques jours après. Le directeur de l’hôpital quant à lui a commencé à développer les mêmes signes cliniques que le malade venu de Guéckédou. Il s’est rendu compte que le traitement instauré ne répondait pas positivement. Il a donc décidé de se rendre à Conakry pour des soins, mais il est décédé en cours de route.
C’est ainsi que l’arborescence de la contamination s’est progressivement construite pour que l’on arrive aujourd’hui à la situation presque de pandémie qui touche aujourd’hui cinq pays de l’Afrique de l’Ouest.

 

Organisation de la riposte

Cette nouvelle donne a préoccupé les autorités sanitaires et le Bureau de la représentation de l’OMS en Guinée. C’est ainsi qu’ils ont décidé de faire des prélèvements et expédier les échantillons en France (Lyon) pour des analyses. Les investigations faites ont indiqué qu’il s’agit de la fièvre hémorragique à virus Ebola.
Le Ministère de la Santé en collaboration avec l’OMS et les autres partenaires ont mis en place le dispositif de riposte qui a consisté à répertorier les cas et les contacts dans le cadre de la surveillance d’une part, et à organiser la riposte à travers la mise en place de centre de traitement d’autre part. Au niveau national, un comité interministériel de riposte a été mis en place ainsi que plusieurs commissions techniques de travail : la surveillance épidémiologique, la prise en charge, la communication, le laboratoire, la logistique, la recherche…. Le Ministère de la santé a désigné un médecin de santé publique de la Division Prévention comme coordonateur. Des mesures de confinement des cas suspects et probables et la prise en charge des cas ont été mises en place dans le district.
Il faudrait saluer le courage exceptionnel du personnel de santé qui a travaillé jusqu’ici dans des conditions extrêmement difficiles. En effet, gérer quelques cas de fièvre Ebola comme cela a été avec les trois américains rapatriés n’est pas déjà facile, mais prendre en charge des centaines de cas pendant plus de huit mois devient compliqué. Les premiers problèmes concernent la disponibilité des intrants à usage unique (blouse, masque, gants..) et la destruction du matériel utilisé. De plus, le soutien des partenaires et l’implication des leaders communautaires et des élites locales pour la sensibilisation ont contribué à réduire la réticence des populations.

 

Sur le plan de la prise en charge des cas

De tous les districts de santé de la Guinée, Guéckédou a été par le passé le district qui a le plus bénéficié de mesures d’accompagnement technique et financier. En effet, depuis les années 1980, ce district sanitaire a obtenu un appui considérable de la Coopération Allemande et de l’ONG Plan International pour en faire un district modèle. Plus tard s’est ajouté d’autres partenaires à vocation humanitaire dans le cadre de l’état d’urgence à cause du conflit armé en Sierra Léone, au Libéria et les graves crises socio-politiques que la Guinée a connu du fait de la mauvaise gouvernance, tels que le HCR, MSF, l’OMS, l’UNICEF… Mais ces différents appuis n’ont pas permis de développer un district performant, pour des raisons multiples dont la faible appropriation locale des stratégies, l’insuffisance de la capacitation communautaire et le développement de la recherche opérationnelle pour éclairer la prise de décision.

 

Difficultés évoquées et raisons de la progression soutenue de l’épidémie

Il convient de souligner que la capacité du district à prendre en charge la fièvre Ebola est faible : niveau de formation des personnels de santé sur l’épidémie insuffisant, déficit de recours systématique aux mesures de protection individuelle en milieu de soins, méconnaissance de la maladie, et communication inappropriée face à l’épidémie.
Un déficit de communication a été constaté à la base pour inciter à une meilleure implication voire responsabilisation des communautés. Pour les uns, il s’agissait d’une maladie inventée par le politique pour retarder les échéances électorales ou pour solliciter l’appui des bailleurs de fonds. Pour les autres, c’était une pure invention de l’esprit pour susciter le désarroi.
De plus, certains us et coutumes ont favorisé la progression de l’épidémie. Il s’agit des rites funéraires, de la faible observance des règles d’hygiène et de la promiscuité.
La mobilisation communautaire et le soutien psychosocial sont restés faibles, surtout au début de l’épidémie. Le manque d’assistants sociaux et de psychothérapeutes a été un handicap sérieux dans le processus de prise en charge globale des personnes affectées (maladies et proches).
On note également, le manque de confiance de certaines personnes aux dispositifs de riposte mis en place : Centre d’isolement, alerte, investigation des cas, centre de traitement. Ceci amène certaines familles à cacher des malades et des contacts qui continuent de propager l’épidémie lors des visites en famille, des déplacements vers d’autres localités, des recours à des soins traditionnels et cabinets de soins ainsi que lors des funérailles non sécurisées. A cela, il faut adjoindre les décès communautaires positifs ayant échappé au système de surveillance.

 

Actions prioritaires

Aujourd’hui, la lutte contre la FHE nécessite une action concertée de tous les parties prenantes. Le premier défi est celui des ressources. A ce titre, la Guinée, comme les autres pays touchés est incapable seule de lutter contre cette maladie. La communauté internationale devrait se mobiliser pour endiguer cette épidémie avant qu’il ne soit trop tard. Ainsi, une conférence internationale sur la Fièvre Ebola devrait être organisée pour mobiliser les ressources, et dégager des consensus sur la prise en charge ainsi que des axes futurs de recherche (traitement antiviral, vaccin).
Au niveau national, les conséquences de l’épidémie sont désastreuses sur tous les autres secteurs. En date du 3 août 2014, la Guinée a déclaré la FHE comme urgence sanitaire nationale. Des mesures ont été prises telles que le renforcement du contrôle sanitaire, la restriction des déplacements et l’interdiction de transfert de corps, la mobilisation de la société ainsi que des ressources pour faire face à l’épidémie.
Il faudrait donc mobiliser davantage de ressources pour organiser le dépistage et le traitement précoces des cas. En pareille circonstance, la gratuité des soins serait la première mesure qui permettrait de faciliter la détection des cas. En effet, une prise en charge précoce permet de réduire le taux de mortalité. Ces ressources doivent être transférées au niveau des districts de santé dont leur personnel paye le lourd tribut de cette épidémie.

Cette épidémie illustre également la faiblesse de nos systèmes de santé. Nous ne pouvons pas contrôler des problèmes de santé si les systèmes de santé sont incapables d’assurer un accès universel aux soins et services de santé. L’urgence est certes aujourd’hui l’éradication de cette épidémie. Il faudrait déjà que nous pensions comment construire un système de santé qui réponde efficacement aux besoins des populations dans l’avenir.

 

Conclusion

L’épidémie de Fièvre hémorragique Ebola est plus qu’une urgence sanitaire sous-régionale africaine. La communauté internationale devrait se mobiliser pour stopper l’épidémie. Une Conférence internationale est nécessaire pour mobiliser les ressources, dégager des consensus de prise en charge, aider les pays touchés ou à risque d’organiser une riposte nationale efficace.

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