La façon dont le débat sur l’après-2015 est abordée par les chercheurs et les décideurs en ce qui concerne les systèmes de santé s’apparente en quelque sorte à l’évocation du calendrier Maya qui, selon certains archéologues, fixait la fin du monde en décembre 2012. Pour rappel, 2015 est la date-échéance des Objectifs de Développement du Millenium (OMD), à laquelle la Communauté Internationale s’était fixée pour pouvoir éliminer l’extrême pauvreté, en général, et certains problèmes majeurs de santé, en particulier, dans le monde. L’après-OMD ressemble ainsi au monstre du Loch-Ness : tout le monde en parle, mais personne ne l’a jamais vu et n’en sait quelque chose. Ce qu’on sait et qu’on voit – comme en ce qui concerne aussi le monstre du Loch-Ness – ce sont les traces qui restent sur le terrain.
Prenons les cas des régions qui sont reprises dans les rapports OMD de l’ONU depuis 2001. D’abord, l’Afrique sub-saharienne a avancé avec rapidité sur la voie des OMD, mais elle aura des difficultés à les atteindre tous d’ici 2015. Ensuite, l’Afrique du Nord continue de se classer en tête des régions du monde pour ce qui est des progrès en faveur de la réalisation de plusieurs OMD, d’après le Rapport de 2011. Enfin, l’Asie de l’Ouest a bien progressé dans les domaines de la survie et de la santé maternelle et infantile. Les décès maternels ont diminué de 52 pour cent entre 1990 et 2008 dans la région, en grande partie à cause de la présence de personnel qualifié lors des accouchements, de soins prénataux qualifiés et de l’utilisation de contraceptifs, ainsi que d’une baisse du nombre de grossesses chez les adolescentes. Sur ce dernier point, cependant, les progrès stagnent depuis 2000 et le taux de grossesse chez les adolescentes reste élevé, avec 52 naissances pour 1000 femmes âgées de 15 à 19 ans.
Pour résumer, le rapport OMD 2011 de l’ONU indique, pour l’Afrique sub-saharienne, des progrès mais également des défis à relever ; pour l’Afrique du Nord, elle est sur la bonne voie en santé infantile ; et pour l’Asie de l’Ouest, des avancées dans les domaines de la santé et de la survie maternelle et infantile.
Sans argument péremptoire, on peut conclure que le bilan sera mitigé en 2015, un bilan focalisé exclusivement sur la santé. Peut-on produire la santé sans éliminer la pauvreté ? C’est la fable de la poule et de l’œuf.
Qu’est-ce qui va se passer après 2015 ?
Pour comprendre ce qui va se passer en 2015, on peut jeter un regard rétrospectif sur le passé en santé internationale. Lorsque le rapport de Alma Ata était approuvé par l’Assemblée de l’OMS en 1978, il y avait trois blocs en concurrence entre eux dans le monde pour exercer une influence à l’intérieur de l’assemblée de l’OMS : le bloc occidental, le bloc de l’Est et le bloc des Non-Alignés. La suite est connue : le concept de Soins de Santé Primaires (SSP) est né enveloppé par des politiques et paradigmes néolibéraux dans le secteur de la santé, notamment dans le Washington Consensus, le Brussels Consensus et le WHO Consensus. Les politiques d’ajustement structurel (années 80-90), l’Initiative de Bamako (1987) et la Déclaration de Harare (1987) sont passés par là. L’objectif global des SSP consigné dans la Déclaration de Alma Ata était ‘Santé pour tous à l’An 2000’ auquel ont succédés 8 OMD dans la Déclaration du Millenium pour le Développement avec l’horizon de 2015. Durant près de 15 ans, les OMD ont été le credo mondial et l’outil de benchmarking de tout agenda et tout programme en santé internationale. Comme à Alma Ata en 1978, les OMD sont nés en 2001 dans un contexte de lutte d’influence « idéologique » entre les grands acteurs mondiaux en santé, avec la consolidation croissante la position dominante de la Banque Mondiale depuis les années 80 et l’arrivée fracassante des Global Health Initiatives (GHIs) dans le financement de la santé. Alors qu’ils ont été un cadre général ou une meilleure opportunité pour révolutionner la pensée et la pratique de la santé publique (et l’économie de la santé) comme une démarche de développement socio-économique, avec un lien avec la pauvreté, les OMD ont été minés par une verticalisation excessive des interventions en santé, une recherche des résultats rapides intra-sectoriels ou sous-sectoriels (exemple, par maladie) et ont fait perdre à la notion de renforcement des systèmes de santé son sens véritable.
A quoi faut-il donc s’attendre ?
Un nouveau concept va succéder aux OMD, ce qui n’est pas un secret. Mais, la crainte sera encore son contenu et la durabilité de ses effets. Aujourd’hui, en termes d’efficacité et de durabilité des effets, que représentent les SSP (Alma Ata, 1978), le recouvrement des couts (IB, 1987), la pyramide sanitaire et le district de santé (Harare, 1987) dans un contexte d’affaiblissement de l’autorité nationale de santé et de l’OMS, de la globalisation croissante et de la verticalisation excessive des interventions des acteurs sur-financés, et où les opportunités et les intérêts des acteurs locaux sont enchâssés et enchevêtrés dans les opportunités mondiales ?
Quelles sont les solutions ?
Depuis Montreux 2010 et cela s’est confirmé à Beijing 2012, le concept de « Couverture universelle en santé » fait son chemin. Au lieu d’être surpris, les décideurs doivent prendre de l’avance pour lui donner un contenu. Certes, la façon dont les chercheurs y travaillent dans une démarche à la fois multidisciplinaire et interdisciplinaire est prometteuse. Mais, encore faut-il que le temps suffise pour concevoir un concept cohérent et complet. Deux grandes approches peuvent être proposées. En premier lieu, la plus grande leçon que l’on peut tirer, en matière de santé mondiale, est qu’en dépit de l’influence croissante de la mondialisation par rapport à la santé, la responsabilité de la santé de la population demeure avant tout une question d’intérêt national c’est-à-dire une préoccupation des gouvernements. Il est impératif d’arrêter ce qui génère un décalage potentiel entre les problèmes de santé mondiale et les institutions et les mécanismes actuels pour y faire face. En d’autres mots, il faut recréer la gouvernance mondiale unique et renforcer la ‘gouvernance de la santé’ au niveau des pays: la santé doit éviter d’être traité comme un ‘ilot’ dans les vagues océaniques menaçantes des problèmes de développement. En second lieu, à défaut d’évincer la verticalisation des interventions dans les systèmes de santé (les acteurs mondiaux sont trop puissants), il convient de promouvoir la diagonalisation puis la transversalisation de ces interventions. Malgré cela, l’après-2015 restera un monstre du Loch-Ness jusqu’en 2015.
Théophane Bukele Kekemb, MPH, PhD All But Dissertation
Programme d’Economie managériale
Département de Management,
Faculté d’économie ‘Giorgio Fuà’
Université Polytechnique de Marques
Ancona, Italie
Félicitations pour cette belle réflexion !