Mckee et al;
Commentaire : Damien Porcher
Dans cet article, les auteurs s’intéressent aux disparités à l’échelle mondiale en matière de recherche dans le domaine de la santé et aux mesures pour corriger ces disparités et renforcer les capacités de recherche des pays sous-dotés. Afin de mettre en lumière ces disparités, ils tentent d’analyser le lien entre les situations politiques et économiques de ces pays et leur “niveau” de recherche.
La recherche en santé n’est plus seulement l’apanage de quelques pays à haut revenu, mais de nombreux pays souffrent encore d’une quasi-absence de programmes de recherche dans ce domaine. Les efforts de renforcement de la capacité de recherche en santé se sont jusqu’à présent concentrés sur des pays aux capacités existantes, au détriment des pays à la marge.
Méthodes
Comment mesurer ces écarts dans le domaine de la recherche en santé? Les auteurs proposent d’établir tout d’abord un classement des pays en terme de nombre absolu de publications sur la période 1996-2010. Ils constatent que les 25 derniers pays dans ce classement – Mayotte étant le “meilleur” élève avec 15 publications sur ces 15 années – sont principalement de petites îles faiblement peuplées, à l’exception de la Républiques Démocratique de Corée du Nord et du Turkmenistan. Concernant ces deux exceptions, les situations politiques “particulières” sont mises en avant en guise d’élément de compréhension.
Afin d’aller plus loin dans leur méthodologie, les auteurs scrutent ensuite le nombre de publications par pays par rapport à leur population respective. Se dégagent alors deux catégories: les pays Africains, et les pays de l’ex-bloc soviétique.
Ils proposent également d’observer la corrélation entre les indicateurs de publication et le PNB par habitant d’une part, et les dépenses de santé par habitant d’autre part.
Difficultés rencontrées
Le déficit de recherche en santé auquel sont confrontés individuellement les “petites îles” serait en train d’être résorbé, dans la mesure où ces pays participent déjà à de nombreuses initiatives académiques régionales. Citons notamment l’Université du Pacifique Sud dont les campus décentralisés sont présents dans 11 pays.
La situation des pays de l’ex-bloc soviétique serait plus mitigée. En dépit d’une certaine stratégie nationale en matière de santé, les “héritages culturels” constitueraient un frein à l’adoption des normes scientifiques internationales, et de la langue anglaise. Toutefois, les auteurs notent que la Russie a récemment commencé à infléchir sa stratégie de recherche en recrutant des chercheurs internationaux renommés non exclusivement russes.
La question du financement de la recherche et des chercheurs, et par conséquent de l‘attractivité de la recherche dans ces pays, est également abordée pour expliquer les difficultés rencontrées. Les fonds alloués sont souvent rares et faibles – les salaires sont jusqu’à 7 fois plus bas que dans les pays occidentaux ou dans le “secteur privé domestique. C’est notamment le cas dans les pays de l’ex-bloc soviétique.
Les pays Africains connaissent une situation contrastée, mais prometteuse. Les auteurs notent une corrélation positive entre le développement économique et les indicateurs de recherche, bien que certains pays “riches”, comme la Libye ou la Guinée équatoriale, soient à la traîne en matière de recherche. Six pays Africains – la Tunisie, les Seychelles, l’Afrique du Sud, la Gambie, le Gabon et la République du Congo – tirent leur épingle du jeu, du fait notamment des structures en place et des partenariats locaux financés par les pays occidentaux. Toutefois, de nombreux pays Africains souffrent encore d’un système de recherche sous-développé et sous-financé, ces pays connaissant pour beaucoup une situation post-conflit difficile en termes de reconstruction et de gouvernance.
Enfin, les auteurs mettent en lumière la situation de pays qui, en dépit d’une “stabilité politique” et de ressources économiques suffisantes pour développer leurs infrastructures de recherche, ont échoué à en créer. Ils citent l’Indonésie, l’Ethiopie, les Philippines et l’Algérie.
Voies d’amélioration
Les auteurs insistent sur la nécessité pour les bailleurs de fonds internationaux d’inscrire les stratégies de financement de la recherche en santé sur le long-terme, et de concentrer les efforts là où la recherche est quasi-inexistante.
Commentaires
L’angle d’analyse des auteurs qui est de confronter les résultats aux situations politiques et “culturelles” de ces pays et régions est pertinent. Toutefois, les conditions dans lesquelles sont effectuées ces analyses sont approximatives. Nous citerons deux points:
- il est regrettable voire douteux d’affirmer que l’Ethiopie soit considéré comme un pays ayant des “ressources suffisantes” mais n’ayant pas de système de recherche ou du moins de stratégie à la hauteur. D’une part, le pays vit sous perfusion financière de l’étranger, et ne peut donc décider souverainement de l’affectation des fonds. D’autre part, de nombreuses initiatives, certes ciblées, ont été développées ces dernières années pour soutenir la recherche en santé dans ce pays.
- les échelles de comparaison sont parfois trompeuses. En effet, les auteurs présentent régulièrement les performances de l’Afrique du Sud et des Seychelles. Bien que ces deux pays puissent avoir des indicateurs relatifs proches, il est quelque peu déplacé de comparer un pays comme l’Afrique du Sud – qui se doit de développer une véritable stratégie nationale de recherche en santé – et les Seychelles, un archipel de 90000 habitants.
Par conséquent, les arguments des auteurs mériteraient une analyse plus approfondie…