http://www.plosmedicine.org/

Titre original: Innovation and Access to Medicines for Neglected Populations : Could a Treaty Address a Broken Pharmaceutical R&D System ?

Auteur: Suerie Moon et al.

Source: http://www.plosmedicine.org/article/

Auteur du commentaire : Damien Porcher

Résumé :

Devant l’incapacité du système actuel de Recherche & Développement (R&D) de répondre aux besoins de la majeure partie des populations, de nouveaux instruments de soutien à la R&D doivent émerger afin de corriger ces inégalités et garantir pour tous un accès aux médicaments et traitements. La possibilité d’établir un traité international en ce sens est évoquée au niveau international.

Il s’agit là de l’idée développée et débattue dans cet article par ses auteurs. Ces derniers font état du manque de nouveaux médicaments destinés à lutter contre les “maladies négligées”, a fortiori l’échec et l’incapacité du système actuel de R&D à permettre aux “populations négligées”, c’est-à-dire les plus pauvres et les plus vulnérables, d’accéder à des traitements. Leurs propos s’inscrivent dans la lignée des travaux du groupe de travail consultatif d’experts sur le financement et la coordination de la recherche et développement de l’OMS préconisant l’initiation de négociations inter-gouvernementales à l’échelle mondiale dans le but d’établir une convention internationale visant à corriger les défauts du système de R&D dans sa capacité à garantir un accès à tous.

Les limites du système actuel de R&D sont tout d’abord introduites. Les brevets en forment l’instrument principal. L’adoption des accords de Marrakech en 1995, et du volet “TRIPS”, a conduit certes à protéger la connaissance médicale et éviter les phénomènes dits de “passager clandestin”, mais les difficultés d’accès aux médicaments pour les populations les plus pauvres et les plus vulnérables se sont accentuées.

De nombreuses expérimentations et initiatives de stimulation de la R&D ont été néanmoins mises en place au cours de la dernière décennie d’améliorer l’accès à des traitements de qualité pour tous. Les auteurs citent le développement des anti-rétroviraux génériques pour le VIH/SIDA (conjugué aux modalités de flexibilité des TRIPS). Sont mis également en avant les efforts de financement de la R&D par le biais d’initiatives institutionnelles et/ou privées, au premier rang desquels les “Partenariats pour le Développement de Produits”, modèle hybride public-privé de soutien au développement de traitements/médicaments.

Ces initiatives sont jugées prometteuses et intéressantes. C’est en tous cas l’avis du groupe de travail consultatif d’experts sur le financement et la coordination de la recherche et développement, qui juge positive ces approches ouvertes qui décorrèlent le prix final d’un produit du financement initial de la R&D. Toutefois, les efforts actuels sont insuffisants pour garantir des fonds suffisants, prévisibles et stables (le financement dépend actuellement essentiellement des bailleurs et de leurs priorités).

L’idée d’un traité international contraignant juridiquement pour pallier les insuffisances du système actuel de R&D est ainsi avancée. Ce traité s’appuierait sur 4 points:

1) Accessibilité: garantir l’accessibilité des médicaments à la majorité des populations qui en ont besoin. Des instruments tels que la “Communauté de Brevets” pourraient par exemple être appuyés au sein du traité.

2) Financement durable: faire en sorte que les financements de la R&D soient durables, prévisibles et substantiels. Le recours aux mécanismes de financement innovant est intéressant, au sens où les pays émergents peuvent également contribuer. Le traité pourrait “contraindre” les gouvernements à contribuer selon une répartition équitable.

3) Innovation efficiente: améliorer les processus innovatifs, en “libérant” d’une part l’information et la connaissance, et en cherchant à limiter les processus duplicatifs (développement “concurrent” de médicaments existants). Des normes globales en matière de priorités de recherche pourraient être incluses dans ce traité.

4) Gouvernance équitable: assurer que l’intérêt général guide l’innovation, et non les profits seuls. La structure de gouvernance associerait l’ensemble des pays dans un effort de participation et de co-financement, permettant ainsi à tous d’avoir voix au chapitre.

Les auteurs précisent néanmoins que négocier un tel traité ne sera pas simple. Il est important de faire attention aux effets de bord, en particulier le passage clandestin. Par ailleurs, ce traité ne doit pas être vu comme un instrument unique, mais plutôt comme un complément voire un prolongement des initiatives actuelles (précédemment évoquées), dont la présence est nécessaire à court, moyen et long-terme.

Résumé :

Les faits relatés dans cet article sont incontestables. Faire en sorte que les populations les plus pauvres et les plus vulnérables puissent aussi bénéficier de l’innovation en matière de santé, qui en sont aujourd’hui privées, doit rester une priorité pour nos décideurs.

Le concept d’un traité contraignant est séduisant, mais assurément délicat à négocier et mettre en œuvre. Il faudra du temps et de la patience pour s’accorder sur un texte satisfaisant, « vierge » de la main invisible des compagnies pharmaceutiques trop soucieuses de voir leurs intérêts menacées.

La question de l’instauration d’un socle de protection universelle mérite également d’être posée.

Mais cet article est intéressant pour d’autres raisons. En fait, derrière les éléments développés, se cache un autre élément fondamental : la place de l’OMS dans l’arène gouvernante et normative de la santé mondiale. En effet, la dernière décennie a vu fondre implicitement et explicitement le rôle de l’OMS au profit d’autres instances sui generis, fondations, secteur privé et autres, les impératifs financiers et les crises budgétaires des Etats ayant prévalu sur le rôle central historiquement confié à l’OMS. L’OMS s’est « contenté » d’émettre des recommandations, d’établir des comités consultatifs, mais n’est pas parvenu à s’imposer comme le véritable pilier juridique et gouvernant de la santé internationale. Toutefois, si un tel texte était voté, il est important que le rôle central échoie à cette organisation : seule une organisation de cette envergure, dont le mandat est clair à cet égard, est en mesure de superviser l’élaboration et la mise en œuvre de tels outils juridiques. Dans ce « combat », la voix des pays émergents – au premier rang desquels les BRICS – sera décisive : ces derniers sont de forts partisans d’une Organisation Mondiale de la Santé, pilier de la gouvernance mondiale en matière de santé.

 

 

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