Politiques Sanitaires Internationales, lettre 84< ?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" />
24 septembre 2010
La délégation globale des tâches en Afrique sub-saharienne : une réalité ignorée
On parle de plus en plus de délégation de tâches ou “task shifting” dans l’offre de soins dans les pays à faible revenu pour faire face à la pénurie en médecins (http://www.who.int/healthsystems/task_shifting/TTR_tackle.pdf ). En effet, entre 2000 et 2009, 27 pays d’Afrique sub-saharienne avaient moins d’un médecin pour 10000 habitants –contre 33 médecins pour 10000 habitants en Europe de l’Ouest (http://www.who.int/whosis/whostat/2010/en/index.html ). Ce faible ratio est aggravé par la mauvaise distribution entre les zones urbaines et rurales, et entre les grands hôpitaux universitaires et les hôpitaux de district et centres de santé, et par la fuite de cerveaux “brain drain” des services curatifs vers les postes managériaux et les programmes verticaux. Dans la plupart de ces pays, la plus forte concentration des médecins surtout des spécialistes est observée à la capitale politique et secondairement dans la plus grande ville économique où on trouve l’essentiel de la technologie sanitaire. De ce fait, dans les zones rurales, un à deux médecins généralistes couvrent 100000 à 150000 habitants. L’utilisation des infirmiers voire des membres de la communauté pour offrir des soins à une population de responsabilité est donc la règle. Ainsi, en fonction des pays et/ou sous l’initiative de certains programmes verticaux, les infirmiers font des consultations curatives, posent des diagnostics et prescrivent les traitements nécessaires. Ces traitements vont des antalgiques aux antibiotiques et peuvent inclure la mise sous traitement antirétroviral (ARV), antituberculeux, antihypertenseur… (http://www.lancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(10)61487-0/fulltext).
Cela est donc connu de tous les policymakers que l’infirmier et la communauté assurent l’essentiel de la prise en charge des patients en zone rurale et même en zone urbaine où malgré la forte concentration des médecins, la charge de travail de ceux qui travaillent dans le secteur publique reste élevée de par l’absence d’un système de référence contre référence- et le peu d’accès de la majorité des populations aux praticiens privés. Malheureusement, la formation initiale des infirmiers ignore cette situation réelle de terrain et il est donc formé pour offrir essentiellement des soins infirmiers. Il devra à l’issue de cette formation participer à une multitude de séminaires organisés par les programmes verticaux pour acquérir les compétences lui permettant de prescrire les antituberculeux, les ARV. Et pour tout ce qui n’est pas dans un programme vertical, il doit se débrouiller tout seul pour traiter des autres problèmes de santé qu’il rencontre au quotidien.
Le “task shifting” ne se limiterait pas qu’au VIH/SIDA, à la tuberculose et au planning familial pour ne citer que ces problèmes. En réalité, en Afrique sub-saharienne, la délégation de tâches est presque globale ou totale et concerne tous les problèmes de santé qui minent la population de responsabilité de l’aire de santé, parfois même des actes chirurgicaux. D’ailleurs, certains documents disent que 10% des patients (cas chirurgicaux, cas compliqués, accouchements dystociques…) de l’aire de santé doivent être référés à l’hôpital de district. Comment peut-on atteindre les Objectifs du millénaire pour le Développement si le niveau périphérique de soins n’a pas les compétences et les capacités pour prendre en charge correctement 90% des problèmes de santé d’une communauté ?
Dans les pays à faible revenu, il s’avère donc urgent que le profil de formation de l’infirmier tienne compte de ce contexte pour arrimer le contenu de la formation à la réalité de délégation globale de tâches du médecin à l’infirmier. En plus, la technologie sanitaire doit être renforcée pour que ces 90% de diagnostics réalisés par ce niveau de soins ne soient plus seulement présomptifs, mais reposent sur des bilans cliniques et paracliniques appropriés.
Au moment où tous les bailleurs et organismes voudraient renforcer les systèmes de santé, nous pensons que la faiblesse des systèmes de santé découle de la faiblesse de sa première ligne de soins. Par conséquent, améliorer la performance de la première ligne de soins nous semble une piste essentielle qui permettrait de solidifier les fondations des systèmes de santé pour atteindre plus que les objectifs du millénaire, un accès aux soins pour 90% des problèmes de santé.
Bonne lecture
Basile Keugoung, Isidore Sieleunou, < ?xml:namespace prefix = st1 ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:smarttags" />