Par Basile Keugoung

Nous avons donc lancé il y a un mois sur le forum de discussion en ligne  de la Communauté de Pratique Prestation des Services de Santé (CoP PSS) un débat sur la possibilité ou non d’atteinte des Objectifs 90-90-90 par les systèmes de santé d’Afrique sub-saharienne. Il s’agit qu’en 2020 :

90% de la population connaissent leur statut sérologie VIH

90% des personnes séropositives soient mis sous traitement antirétroviral

90% des personnes sous traitement aient un succès thérapeutique.

En fin 2015, 36,7 millions de personnes vivaient avec le VIH/sida dans le monde dont près de 70% en Afrique sub-saharienne. En juin 2016, seules 18,2 millions (50%) de personnes infectées par le VIH avaient accès au traitement antirétroviral. En même temps, les nouvelles recommandations proposent la stratégie « Tester et traiter » qui préconisent que toutes les personnes séropositives soient mises sous traitement antirétroviral indépendamment de leur taux de CD4.

Pour rappel, la mise sous traitement antirétroviral était initiée pour un taux de CD4 inférieur à 200 puis révisé à moins de 350, ensuite à moins de 500 CD4. Nous sommes à moins de 4 ans de l’évaluation de ces objectifs.

Nous remercions tous les experts qui ont participé à ce débat et nous faisons ici le résumé de ce débat.

Cadre d’analyse

Nous avons d’abord analysé l’avis du membre quant à la possibilité d’atteinte ou non de ces objectifs par les systèmes de santé d’Afrique sub-saharienne. Ensuite, nous avons fait une analyse thématique. Le cadre d’analyse utilisé était les 6 composantes du système de santé de l’OMS –leadership et gouvernance ; ressources humaines ; système d’information sanitaire ; offre des soins ; médicaments, équipements, et autres consommables médicaux ; financement.

Pour chaque item, nous avons relevé les défis actuels des systèmes de santé puis les conditions et activités requises pour atteindre éventuellement ces objectifs.

Au total, nous avons reçu 43 contributions.

Résultats

De façon globale, 85% experts de la CoP PSS pensent qu’il serait très difficile aux systèmes de santé d’Afrique sub-saharienne d’atteindre les Objectifs 90-90-90 si le niveau actuel de réponse contre le VIH/SIDA et si les défis actuels ne sont pas levés. Par contre, 15% d’experts pensent qu’il est impossible d’atteindre ces objectifs car les défis à surmonter sont énormes. Nous avons fait la synthèse des défis et goulots ainsi que des propositions pour améliorer la performance et éventuellement atteindre les objectifs dans le Tableau 1.

Objectifs 90-90-90 : atteinte impossible

Pour 15% d’experts, ces objectifs ne seront pas atteints. Ils constituent plutôt des stratégies de collecte de fonds par les Organisations internationales pour leur propre fonctionnement. D’ailleurs, ces financements seraient orientés exclusivement vers des interventions liées aux VIH/SIDA en dépit de nombreux goulots d’étranglement du système de santé. En effet, ces goulots d’étranglement ont des effets systémiques qui limitent l’offre de soins tant pour le VIH/SIDA que d’autres programmes verticaux.  Les experts ont relevé que les stratégies et les objectifs sont décidés par les bailleurs et même s’ils sont politiquement entérinés, il n’y a pas une réelle appropriation et une contextualisation au niveau national.

De ce fait, les objectifs et les stratégies sont seulement « copiés et collés » pour satisfaire les organisations internationales. Le financement repose alors dans la majorité des pays sur les fonds externes. De plus, ceux-ci sont souvent mal gérés d’où de nombreuses ruptures en tests de dépistage et en médicaments antirétroviraux.  Les experts regrettent que près de 30 ans après, tous les prestataires de soins ne soient pas capables de prendre en charge les personnes vivant avec le VIH (PVVS) d’où la verticalisation des soins des PVVS dans un contexte de pénurie en personnel. Il y a donc une centralisation de la délivrance des ARV dans les hôpitaux et une prescription faite uniquement par des médecins. Dans les hôpitaux, la charge de travail est très élevée d’où de longues files d’attente pour l’approvisionnement en ARV et une mauvaise observance du traitement. Ils ont également relevé la faiblesse du monitoring où les populations et prévalences VIH ne sont qu’estimées.

Objectifs 90-90-90 : atteinte possible sous conditions

Bien que la majorité des experts pensent que les Objectifs 90-90-90 peuvent être atteints, ils relèvent que cela reste tout de même difficile au regard des nombreux défis, de la faiblesse des systèmes de santé et du modèle d’organisation de la lutte contre le VIH/SIDA. Toutefois, ils pensent ces défis ne sont pas de contraintes.

En rapport avec le leadership et la gouvernance, il faudrait une politique réelle de renforcement des systèmes de santé et surtout des districts de santé. Les pays doivent donc élaborer des plans réalistes et contextuels pour lesquels le Ministère de la santé n’assure que la coordination technique et dont les autres acteurs s’approprient et jouent pleinement leur rôle. Dans ces plans, les communautés et la société civile devraient jouer un rôle central pour contribuer à réduire la charge de travail des prestataires.

Concernant les ressources humaines, il ne s’agit plus simplement de former le personnel mais d’aller au-delà pour que tout prestataire de soins soit capable de prendre en charge une PVVS. Deux stratégies majeures doivent être observées : la délégation des tâches et la décentralisation. La délégation des tâches devrait permettre d’effectuer le dépistage VIH en dehors des formations sanitaires, la prescription des ARV par les infirmiers et la distribution des ARV par les communautaires.

Il faudrait donc un changement de paradigme pour que l’infection VIH ne soit plus seulement considérée comme une maladie infectieuse mais comme un problème de santé chronique transmissible.

Par conséquent, l’offre des soins liés au VIH devrait être intégrée dans le paquet minimum d’activités des centres de santé et le paquet complémentaire d’activités des hôpitaux. Un système de référence contre référence fonctionnel doit être mis en place pour que les personnes dépistées au niveau communautaire soient pour la prescription des ARV de première ligne, que les cas graves soient ensuite référés par les centres de santé vers les hôpitaux et que ces derniers contre réfèrent les cas stables vers les centres de santé voire la communauté pour le suivi, le soutien psychosocial et la distribution des ARV.

Cette réorganisation du modèle de soins aux PVVS vers une approche de partenariat patient nécessite d’allouer des ressources requises aussi bien aux formations sanitaires qu’à la société civile. Des financements innovants doivent être recherchés pour pallier au retrait éventuel des bailleurs et lever les nombreux défis et goulots qui ne sont pas pris en charge par les bailleurs.

La disponibilité des médicaments contre les maladies opportunistes et des antirétroviraux représentent un défi majeur. La recherche devrait permettre de trouver des médicaments moins toxiques et plus efficaces pour améliorer la tolérance et l’adhérence au traitement. A l’instar des antituberculeux dont chaque comprimé contient 4 principes actifs, les combinaisons médicamenteuses doivent être privilégiées pour réduire le nombre de comprimés à avaler par le patient.

Enfin, il faudrait mettre en place le dossier médical électronique et la carte électronique du patient VIH pour lui permettre de s’approvisionner en ARV dans n’importe quelle formation sanitaire. Des enquêtes nationales sont requises pour sortir des estimations et connaître les prévalences et les cibles réelles. Ainsi, les stratégies ne seraient uniquement nationales mais seraient adaptées en fonction des spécificités géographiques (région, district, commune), liées à la prévalence ou aux couvertures en dépistage et en traitement antirétroviral.

Conclusion et réflexions

Les experts de la CoP PSS ont tiré la sonnette d’alarme pour les Objectifs 90-90-90 de la riposte contre le VIH/SIDA en Afrique sub-saharienne. Si le statut quo est maintenu, peu de pays seront à mesure d’atteindre ces objectifs au vu des performances actuelles et du délai très court (3 ans) qui restent à ces systèmes de santé pour relever tous les défis fonctionnels, organisationnels et structurels liés à l’offre de soins chez les PVVS. Ces défis concernent toutes les 6 composantes du système de santé.

Les gestionnaires des programmes nationaux de lutte contre le VIH/SIDA occuperont une place centrale. Il s’agit en effet d’un changement de paradigme qui s’accompagnera forcément d’une réduction ou d’un partage du pouvoir, aujourd’hui centralisé autour d’un nombre limité d’acteurs actuels au profit de toutes les formations sanitaires, de tous les prestataires de soins et des membres de la communauté.

Pour que ce partage de pouvoir soit effectif, la PVVS doit être au cœur du débat et doit participer au débat pour que les choix stratégiques qui seront faits par les systèmes de santé permettent de couvrir leurs besoins à court, moyen et long termes.

Tableau 1 Synthèse 90 90 90

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