Par Vincent Dumez

@DumezVincent

Le paternalisme médical

Afin de bien comprendre le fondement des soins centrés sur le patient et la famille (SCPF), il faut regarder comment ce mouvement s’est constitué dans les années 80 en réponse au paternalisme médical en santé. En effet, les années 50-60-70 dans les pays occidentaux ont été marquées par des découvertes scientifiques sans précédent et ce, à tous les niveaux de la médecine (médicament, chirurgie, biologie, etc.). Notre espérance de vie n’a alors cessé de croître nous laissant envisager la possibilité d’une vie sans maladie résultat d’une médecine experte qui aurait finalement une réponse à tout.

Le modèle de soins qui a émergé de cette période a souvent été qualifié de « paternalisme médical » pour décrire la relation à sens unique entre une personne malade et un médecin expert qui va le prendre en charge et résoudre son problème de santé grâce à la science. Dans une approche paternaliste, le rôle du médecin est central, il décide du diagnostic et des soins afférents, il gère l’équipe de soins en fonction des objectifs qu’il fixe et pousse les soins vers le patient. Il communique principalement unilatéralement avec ses patients mais aussi avec les autres professionnels de son équipe. C’est lui qui est au centre du soin légitimé par son expertise. Ce phénomène a été très bien et abondamment décrit dans la littérature notamment par des auteurs comme Foucault en France au Ballint en Angleterre.

(Réf. Foucault & al)

Ce paternalisme médical a connu son apogée au début des années 80. Il doit ensuite sa remise en question à plusieurs phénomènes sociétaux qui serviront de fondements aux SCPF. Tout d’abord le constat que cette médecine experte avait de la difficulté à gérer les dimensions psychosociales de la santé des individus et demeurait surtout très concentrée sur les aspects physiologiques et biologiques particulièrement alimentés par les découvertes scientifiques du moment. Dès les années 70, cette médecine commence d’ailleurs à montrer ses limites à faire face aux enjeux croissants reliés à la prise en charge des utilisateurs de drogues dures, aux revendications des patients en santé mentale en faveur de soins plus humains ou encore, dans les années 80, aux répercussions systémiques de la crise du SIDA.

(Réf. Note de synthèse Université Paris VIII, Flora & al)

Les Soins centrés sur le patient et la famille

Les SCPF se sont donc développés à partir de la nécessité d’une approche plus holistique du soin, moins unilatérale, qui va donner davantage de légitimité et d’espace d’action à d’autres disciplines de la santé afin de comprendre et répondre aux besoins des patients de façon plus globale. Les SCPF se définissent dès leur début comme une alternative au paternalisme médical des décennies précédentes en posant comme postulat de base que la personne doit primer sur la maladie et qu’il faut privilégier une approche plus interdisciplinaire du soin pour assurer une prise en charge efficace. En opposition au modèle biomédical dominant, c’est un mouvement qui prend donc racine dans les sciences sociales et humaines et dont le leadership va être principalement assuré par les disciplines autres que médicales comme les sciences infirmières ou encore la réadaptation.

C’est notamment pour ces raisons que cette approche s’est davantage concentrée historiquement sur le fonctionnement entre professionnels de santé plutôt que sur la relation voir le partenariat avec les patients. Par exemple, dans le contexte des SCPF, on va reconnaître la complexité de la situation du patient, la nécessité de considérer ses spécificités dans le plan de traitement ou encore l’importance de sa famille sans pour autant se pencher de façon explicite sur son rôle et son action dans le processus de soins. Dans sa genèse, les SCPF vont donc s’intéresser à l’efficacité et la qualité des services offerts aux patients, à l’accès et à la coordination des soins, plutôt qu’à l’expérience de soins en elle-même et à l’engagement des patients dans leurs soins. C’est pour cela qu’on aura tendance à dire qu’avec les SCPF, on passe certainement d’une logique de « soins vers les patients » à une logique de « soins pour les patients » mais pas totalement à une logique de soins « avec les patients ».

(Réf. The permanente Journal, Is Patient-Centered Care the Same As Person-Focused Care?)

La prise de décision partagée

Pourtant, dès les années 90, au moins deux autres approches basées sur une logique de « soins avec les patients » vont aussi se développer en parallèle des SCPF sans pour autant s’intégrer formellement, soit la prise de décision partagée (PDP) et le self management. La PDP ouvre la porte à un processus négocié de décisions basées sur l’évidence et pose conséquemment la question fondamentale du partage de pouvoir avec le patient. Le self management aux USA ou l’éducation thérapeutique en Europe ouvrent la porte à la reconnaissance des savoirs des patients et le développement de leurs compétences de soins. Bref, deux ouvertures majeures qui posent les fondements épistémologiques du « soins avec ». Pourtant, la convergence du SCPF avec ces deux approches se concrétise depuis quelques années à travers notamment le concept de patient partenaire qui a d’ailleurs été co-construit avec des patients et des familles. De là à faire un lien de cause à effet…

(Réf. Karazivan et al., Academic Medicine).

Le Partenariat Patient

Lorsqu’on regarde avec un peu de recul cette évolution des approches de soins durant les dernières décennies, force est de constater qu’elle devait se faire ainsi, étape par étape, avec des passages obligés, qui nous mène finalement aujourd’hui à une vision plus humaniste, plus intégrée et certainement plus achevée. C’est pour cette raison qu’aujourd’hui§, le passage d’une sémantique de SCPF à une sémantique de partenariat de soins est essentiel pour renouveler la vision du soin en s’alignant sur l’évolution logique des approches.

Car alors, le partenariat de soins impliquera de reconnaître l’importance de tous les partenaires du soin, de l’équité et la qualité de la relation de soins, de l’expérience de soins en général, de l’engagement nécessaire du patient dans ses propres soins et de sa famille ainsi que la capacité à lui proposer un accompagnement interdisciplinaire et de co-construire avec lui un plan de soins aligné sur son parcours de vie et ses propres objectifs de vie. Cela impliquera aussi de sortir résolument d’une vue hospitalo-centrée et par épisode de soin pour passer à une vue plus longitudinale et « tout au long de la vie ». Cela impliquera finalement de prendre le virage de la maladie chronique, du patient expert de la vie avec la maladie et du professionnel accompagnateur.

Tagged with →  

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *

Please fill in the below * Time limit is exhausted. Please reload the CAPTCHA.