En 1987, les pays d’Afrique sub-saharienne ont adopté l’Initiative de Bamako (IB) pour faire face au déficit de financement public des systèmes de santé. Ainsi, les usagers participent au financement de la santé au moment de l’utilisation des services de santé. Aussi bien dans le secteur public que privé, les patients paient alors les prestations et les médicaments qu’ils reçoivent.
Trente ans ont passé déjà. Beaucoup d’encre a coulé pour analyser cette politique. L’une des critiques de cette Initiative est l’exclusion des pauvres de l’accès aux soins. Aujourd’hui, la problématique de la couverture sanitaire universelle (CSU) se pose avec acuité. Cette voie est adoptée par tous les pays. La CoP PSS a lancé au premier trimestre 2017 un débat sur la relation entre la CSU et l’IB. Voici les questions qui avaient été posées :
La couverture sanitaire universelle est-elle possible dans des systèmes de santé dont la politique de financement repose sur l’Initiative de Bamako ? Comment arriver à la CSU dans un contexte de recouvrement des coûts ?
Vous avez été nombreux à participer à ce débat et nous vous remercions très sincèrement et nous faisons dans ce blog la synthèse de vos opinions.
Des clarifications
L’IB s’était construite et s’est développée sur la base de préalables et de principes majeurs que sont le soutien financier des populations pour rendre accessibles les soins de santé primaires, la politique des médicaments essentiels, le partage des coûts mais sans désengagement de l’Etat, la participation de la population avec décentralisation effective de la gestion des services de santé, et la définition d’objectifs et de cibles à atteindre.
L’IB va donc au-delà de la contribution financière. C’est vrai que le “recouvrement de couts” est parfois plus connu et utilisé que “IB”, mais il y a certainement des aspects de gouvernance et de co-gestion qui sont centraux dans l’IB.
L’IB répondait à des besoins conjoncturels des Etats en voie de développement car dans les années 80, la crise économique frappait les pays d’Afrique sub-saharienne. L’IB a changé les politiques d’assistanat par celles du développement sanitaire avec la participation de l’ensemble des acteurs (population, Etat, PTF…). La mise en œuvre considérait l’engagement de l’état comme un facteur majeur de réussite. Le principe de partage des coûts avait été formulé dans un contexte de systèmes de santé en faillite et d’ajustement structurel.
Avec l’IB, on voulait améliorer la qualité des soins par la disponibilité des médicaments génériques, le financement communautaire et surtout une supervision renforcée mais les questions de financement ont cristallisé le débat. Ainsi, on a observé la revitalisation des services de santé, leur extension et par conséquent une amélioration des couvertures préventives et curatives. Ceci a donc été une opportunité pour élargir l’accès aux soins de santé dans beaucoup de pays africains et dans d’autres continents.
Certains ont interprété l’IB comme une stratégie qui vise la participation de l’ensemble des acteurs en fonction de la capacité contributive. Par contre, il s’agit plutôt de recouvrir auprès des usagers le coût des soins offerts. La part payée par l’usager ne dépend donc pas de son pouvoir financier.
Des problèmes de mise en œuvre
Il faut également reconnaître que des contraintes de bureaucratie, de technocratie, d’insuffisance de bonne gouvernance (transparence, redevabilité, …) et l’ignorance des populations ont impacté les effets escomptés de l’IB. La participation des bénéficiaires aux frais de santé fait preuve d’injustice et d’inégalité dans l’accessibilité aux soins.
De plus, les Etats ont honoré de moins en moins leur engagement dans le financement de la santé. Dans beaucoup de pays, c’est surtout aux bénéficiaires que revient la plus grande charge du financement de la santé sous le concept de participation communautaire. Par contre, le bénéficiaire, bailleur le plus important du système de santé dans les pays à faibles revenus est moins écouté et est peu impliqué dans la prise de decision.
IB et CSU
Les principes de l’IB ne sont pas contraire à la CSU, sauf si on définit cette dernière comme une gratuité totale des soins/services de santé pour tous les usagers (même cela, quelqu’un doit payer la facture). La condition essentielle est la bonne gouvernance pour l’utilisation rationnelle des fonds. La politique de CSU ne pourra réussir sans la maitrise des flux financiers, sans une adéquation entre les coûts de production des soins et les recettes issues de l’Etat, du secteur privé, des bailleurs et de la communauté.
La CSU ne veut pas dire qu’on arrête avec le recouvrement des coûts. Elle vise plutôt à réduire la proportion des paiements directs à travers une mise en commun des ressources mobilisées pour la santé et à procéder à des achats stratégiques des soins par des structures de mise en commun des fonds. Dans le système de CSU, le recouvrement des coûts passe par des structures de mise en commun des fonds d’achat des soins.
Notez aussi que les trois dimensions de la CSU sont : i) la proportion de la population couverte par les structures de mise en commun des fonds, ii) les soins couverts par ces structures par rapport à ceux laissés pour les paiements directs, et iii) le niveau de protection financière des usagers (part des frais des soins laissée à la charge des usagers.
Comment arriver à la CSU dans un contexte de recouvrement des coûts ?
Il est bien possible d’offrir des soins de santé de qualité à toutes les couches sur la base de recouvrement des coûts. Le plus important est la bonne gestion des ressources (financières, humaines et matérielles) et la communication efficace des usagers sur les services offerts et leur sensibilisation sur les bonnes pratiques. Il s’agit aussi de répartir les différentes contributions (Etat, Entreprises, usagers et PTF) pour laisser une part équitable et raisonnable aux bénéficiaires. Même dans des systèmes où il y a une assurance maladie sociale, les structures de santé recouvrent les coûts des soins. L’objectif est d’arriver à une faible proportion des dépenses de santé payées par les usagers.
Ainsi, les trois dimensions de la CSU doivent être poursuivies concomitamment avec l’IB afin de trouver une solution aux problèmes d’inaccessibilité financière et économique, d’iniquité et de qualité que pose le recouvrement basé essentiellement sur des paiements directs. Ceci exige une transformation dans tous les domaines du développement sanitaire avec des innovations politiques, stratégiques, techniques et gestionnaires. De plus, il faudrait une gestion axée sur les résultats et la prise en compte de l’équité et de l’humanisme dans les prestations des services de santé.
Premièrement, il est important de renforcer le pouvoir d’achat des utilisateurs et surtout des femmes car elles sont les premières sollicitées pour leurs problèmes de santé et ceux de toute la famille.
Deuxièmement, il faudrait :
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- Capitaliser et consolider les acquis du recouvrement des coûts
- Faire des réformes institutionnelles et organisationnelles de façon inclusive et participative dans une logique de culture des résultats et d’amélioration de la qualité
- Instaurer la bonne gouvernance à tous les niveaux de la pyramide sanitaire.
Perspectives
Aujourd’hui, on ne peut pas décréter d’arrêter le recouvrement des coûts sur lequel est basé tout le financement de la santé dans nos pays. Certains pays qui étaient en recouvrement des coûts sont dans le processus de mise en place la CSU avec des résultats prometteurs. Il faut donc travailler sur les trois dimensions de la CSU avec beaucoup de volonté politique et de leadership politique. Premièrement, les pays doivent donc décider des paquets des services et des pathologies à couvrir, de la proportion des coûts de soins à couvrir et enfin des stratégies de mobilisation des ressources financières. Deuxièmement, il faudrait qu’il y ait un bon système de gestion transparente des ressources pour assurer l’approvisionnement régulier en médicaments et l’équipement adéquat des formations sanitaires. Troisièmement, il est crucial d’améliorer la qualité de l’offre de soins et ainsi que l’environnement socio-politique.
Enfin, si rien ne change dans le modèle de participation communautaire, certains membres de la CoP PSS pensent que la CSU ne serait qu’une utopie pour les pays de l’IB. Par conséquent, les communautés devraient reprendre leur place pour garantir la transparence dans la gestion des ressources et pour veiller à ce que les services de santé répondent à leurs besoins. L’importance du rôle que doivent jouer les comités de gestion dans le financement des services de santé est claire. Des dispositions incitatives urgentes doivent être prises afin de redynamiser ces organes et leur permettre de participer effectivement et de jouer pleinement leur rôle en faveur des structures de santé. Pour cela il faudra redéfinir (ou définir clairement) le rôle de la communauté dans les services de santé. Ainsi, le bénéficiaire des services et des soins devra occuper une place centrale dans l’élaboration des politiques sanitaires pour une équité et une participation optimale.
Venez en octobre à Marseille en discuter lors des Actualités du Pharo du 4 au 6 octobre – nous y parlerons de financement de la santé : http://gispe.org/html/actus2017.html