Par Elsbet Lodenstein (Institut Royal des Tropiques (KIT)/ VU University, Pays-Bas)

Les conflits d’intérêts sont la raison d’être des comités de santé
Un article récent sur les comités de santé (COSA) par George et al. (2015) examine le rôle d’intermédiaire que jouent les COSA entre les communautés et les centres de santé. L’efficacité de ce rôle dépend de la confiance et le soutien que les communautés et les prestataires de santé mettent dans les COSA, qui à son tour dépend de la façon dont les COSA balancent les intérêts des communautés et ceux des prestataires de soins. J’aimerais poursuivre ce débat, en m’inspirant d’une légende romaine et de ma propre expérience de recherche sur les COSA.
PIS276Dans l’ancienne religion romaine, Janus était le dieu qui présida la guerre et la paix. Janus était associé avec des portes et des passages qui étaient ouverts en temps de guerre, et restaient fermés en temps de paix. Janus a deux visages, l’un tourné vers l’avenir et l’autre vers le passé (Wikipedia). Les symboles de Janus existent dans toutes les cultures, comme dans ce masque nigérian, pour représenter les différentes formes de dualité.

 

Janus et les comités de santé
Qu’est-ce que cela a à voir avec les comités de santé? Les membres des COSA dans notre étude au Bénin, en Guinée et en RDC ont souvent décrit leur propre rôle en tant que «ponts» («jouer le pont ») entre la communauté et le centre de santé. D’autres membres décrivaient les COSA comme «gardiens» pour assurer un bon fonctionnement du centre de santé, pour «filtrer» les patients potentiellement problématiques et pour apaiser les malentendus entre les utilisateurs et les prestataires. Du point de vue des utilisateurs et des prestataires, ce rôle d’intermédiation quotidienne des COSA était autant important que le rôle dans la co-gestion du centre de santé. De même, lorsqu’on  a demandé aux répondants de décrire le profil idéal des membres des COSA, les participants ont répondu souvent qu’en plus des «connaissances sur la santé et d’être capable d’utiliser les outils de gestion», les membres des COSA auraient besoin de l’aptitude à comprendre simultanément les intérêts médicaux et les intérêts communautaires et d’être en mesure de servir de médiateur entre eux. D’où la comparaison des COSA avec Janus. Et la question que ce blog aborde : comment les COSA gèrent ce double rôle de représentants des intérêts des utilisateurs et des prestataires? Ce double rôle est-il souhaitable ou doit-on se concentrer sur un rôle?
Dans notre étude, nous avons vu les COSA utiliser les deux faces, parfois en soulignant délibérément une face sur l’autre. Lorsque les COSA utilisent leur «visage de la communauté » ils se sont engagés dans le suivi du comportement des prestataires de soins et dans le plaidoyer pour un meilleur traitement des patients ou pour l’affichage public des frais de consultation. Certaines COSA sont engagés dans la protection des utilisateurs en utilisant des mécanismes de plaintes pour la mauvaise conduite des agents de santé. Les COSA utilisent leur «visage de prestataire » dans leur soutien à la prestation des services : distribution du matériel, campagnes de sensibilisation, visites de ménage, co-gestion des fonds de médicaments et promotion de la propreté du centre de santé.

Qu’est-ce que la littérature dit sur ce double rôle des comités de santé?
Dans la littérature, Falisse et al. (2012) ont suggéré que le double rôle de contrôle et de critique d’une part et de collaboration d’autre pourrait être contradictoire. Toutefois, dans notre étude, de nombreux COSA semblaient être en mesure de combiner ces deux rôles. McCoy (2011) qui a mené une revue de la littérature est arrivé à la même conclusion. Ainsi, on peut se demander si l’ambivalence dans les rôles des COSA représente ou non un problème. Au cours de nos réflexions, nous sommes tombés sur le travail d’Eric Wolf, un anthropologue qui a écrit sur la complexité des relations de groupe en 1956. D’après Wolf, le rôle des COSA est en fait de maintenir les tensions entre les utilisateurs et les prestataires. Les COSA ne devraient pas essayer de résoudre les intérêts contradictoires puisque ce faisant, ils aboliraient leur utilité pour les deux groupes. En ce sens, l’existence des COSA se ne justifie que pour les tensions entre les utilisateurs et les prestataires ou les communautés et l’État dans son ensemble. Cela exigerait des COSA à utiliser soigneusement le visage de Janus pour naviguer entre les deux rôles. Ceci suggère que le double rôle des COSA soit renforcé et qu’il est possible pour les COSA d’agir simultanément en tant que représentants du système de santé et en tant que défenseurs des communautés dont ils sont issus.

Qu’est-ce que vous en pensez?
Les contextes dans lesquels nous avons mené l’étude peuvent être uniques. Nous avons besoin de votre expérience pour mieux bâtir la participation communautaire en Afrique sub-saharienne.
Comment cela fonctionne dans vos contextes et dans votre expérience? Dans quelle mesure les COSA sont capables de naviguer entre ces intérêts contradictoires? Est-ce que la composition des COSA et le mode d’élection sont importants ? Est-ce qu’on doit renforcer les deux rôles ou êtes-vous en faveur du renforcement d’un rôle ?

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One Response to Edito – Le double visage des comités de santé en Afrique sub-saharienne

  1. JB Falisse says:

    Merci de lancer le débat! Juste une précision par rapport à nos articles de 2011 et 2012: je ne pense pas que notre idée était de dire que les deux rôles sont contradictoires et exclusifs, mais plutôt de dire qu’un rôle, celui de prestation de service, efface souvent l’autre (celui de redevabilité sociale). Dans la plupart des cas que nous avions observés sur le terrain en 2009 au Burundi, et sur base d’observations que j’ai pu faire lors de mon travail de thèse en 2011-2014 en RDC et au Burundi, le côté redevabilité / pont était très faible, et affaibli par l’insistance sur le côté prestation, souvent sous la houlette du titulaire du centre de santé (le COSA devenait simplement un autre prestataire, tout en bas de l’échelle). Le financement basé sur la performance, notamment par le besoin de trouver des indicateurs mesurables, pouvait potentiellement accenter ce déséquilibre.
    Avoir deux visages est important – il est compliqué d’être un bon co-gestionnaire sans bien connaitre la réalite du centre de santé – mais quand le COSA est faible, c’est souvent un seul ccôté qui existe. La question, je pense, est aussi à quel point le côté prestation doit être développé quand il existe déjà des agents de santé communautaire-ou bien est-ce que tous les agents de santé communautaire doivent être des membres du COSA?

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