Par Sossouhounto Nadine

Face aux problèmes de santé qui se posent à la population dans les communes, l’ambition de l’Etat béninois à travers la décentralisation sanitaire est le rapprochement des médecins vers la communauté à la base. Ainsi, il est prévu que chaque Centre de Santé de Commune (CSC) ait son médecin chef, qui outre ses fonctions de prestataire de services de santé, assure en même temps les fonctions de conseiller technique en santé du Conseil Communal pour accompagner la décentralisation. Mais l’article 100 de la loi 97-029 de 1999 sur la décentralisation ne donne pas le pouvoir de gestion des établissements sanitaires à la commune. 

 

Présentation du système sanitaire béninois

Suite à la table ronde sur le secteur de la santé tenue en 1995 à Cotonou, la pyramide sanitaire du Bénin a été réorganisée à trois niveaux à savoir : le niveau national ou central, le niveau intermédiaire ou départemental et le niveau périphérique ou opérationnel. En effet, le niveau opérationnel constitue l’entité opérationnelle la plus décentralisée du système de santé, où s’exécutent les activités de santé. Ce sont les Centre de Santé d’Arrondissement (CSA) regroupés sous un Centre de Santé de Commune (CSC). Le CSC a au moins une maternité et les prestations sont dispensées par un personnel qualifié comme l’infirmier, la sage-femme voire le médecin. La première structure de référence est l’hôpital de zone (équivalent de l’hôpital de district). D’un point de vue technique et opérationnel, la zone sanitaire (équivalent du district de santé) est sous la responsabilité de l’Équipe d’encadrement de la zone sanitaire.

 

Stratégies de médicalisation de la première ligne

Depuis la table ronde de 1995 qui a abouti à la création des zones sanitaires, chaque CSC dispose d’un médecin-chef. Or, les CSC sont dirigés par des Responsables des affaires administratives et financières (RAAF) qui ne disposent en réalité d’aucun pouvoir de décision, mais jouent plutôt le rôle de comptable. C’est le médecin-chef qui joue en grande partie le rôle de gestionnaire. Il est impliqué en grande partie dans la gestion des ressources à travers la planification, la budgétisation, la coordination, le monitoring, la passation des marchés publics, la supervisions des activités dans les CSA. Il est aussi impliqué dans les projets de sa commune, et joue le rôle de facilitateur dans des formations, et est membre de l’Equipe d’encadrement de zone. En tant que référent médical de la commune il reste le coordinateur des activités et l’ordonnateur des ressources, en collaboration avec les comités locaux de gestion. La participation à toutes ces instances le prive de la délivrance de l’offre de soins au niveau du CSC.

Ces tâches administratives sont faites au détriment de ses fonctions cliniques et sociales. En plus, le rôle de contre-pouvoir des comités locaux de gestion est à peine perceptible dans les faits. Il faut remarquer qu’au Bénin, l’état de santé des populations demeure précaire tout comme dans les pays frontaliers (Togo, Nigeria, Burkina, Niger) où le profil épidémiologique est dominé par les pathologies infectieuses et parasitaires avec le paludisme comme affection dominante.

L’état de pauvreté des patients est très élevé surtout en milieu rural où plus de 40% de la population vit en dessous du seuil de la pauvreté monétaire et non monétaire. Aussi est-il que les enjeux économiques à l’œuvre dans l’exercice des fonctions du médecin-chef ne permettent pas à la population surtout indigente de bénéficier des prestations du médecin au niveau des centres de santé. Les coûts de prestations pour le médecin sont plus élevés sans qu’il n’y ait une plue-value réelle par rapport à la prise en charge des maladies prioritaires infectieuses.

Il faut aussi noter, que ces différentes fonctions du médecin chef du CSC ont modifié sa rationalité. On note une prédominance de la rationalité économique sur la rationalité sociale et clinique.

 

Stratégies de démédicalisation des CSC

Malgré les ambitions de l’Etat de rapprocher le médecin de la communauté, une réforme du Ministère de la santé (qui peine à être officialisée) envisage de supprimer le maintien du médecin-chef dans des CSC chargés de délivrer un paquet minimum d’activités. En effet, cette réforme même n’étant pas officielle se manifeste dans les faits. Le départ d’un médecin-chef de la tête du CSC n’est plus remplacé par l’Etat. Soit le poste reste vacant ou la commune recrute sur son budget un médecin-chef. Il a été constaté sur le terrain que l’absence d’un médecin-chef au poste donne plus de pouvoir au Responsable des Affaires Administratives et Financières et la participation effective des comités locaux de gestion.

Par conséquent, la présence du médecin au niveau des centres de santé est une opportunité à saisir par les systèmes de santé pour améliorer l’offre de soins aux populations rurales. Mais cette médicalisation nécessite que quatre conditions soient remplies :

  • Premièrement, une amélioration des conditions de travail pour qu’il y ait une plue-value sur la prise en charge des patients et une incitation du médecin à rester en zone rurale.
  • Deuxièmement, il faudrait définir et partager les rôles et les responsabilités de chaque acteur au niveau communal pour que l’action sanitaire s’intègre dans le processus de développement.
  •      Troisièmement, le  centre de santé est sensé prendre en charge les populations rurales pauvres en proie surtout aux maladies infectieuses. La lutte contre ces maladies passe par les soins préventifs et promotionnels en général gratuits. Une adaptation du rôle du médecin formé essentiellement pour offrir des soins curatif est donc nécessaire.
  •      Quatrièmement, des modules de formation adaptés aux médecins de première ligne (centre de santé) devraient être élaborés et enseignés dans les Facultés de médecine africaines. Ce cursus peut s’inspirer de la spécialisation en médecine générale ou en médecine de famille introduite dans les pays développés.

Cet exemple du Bénin illustre fort bien que le médecin formé au modèle hospitalier des soins curatifs est peu adapté à travailler dans un centre de santé. A défaut de mettre en œuvre ces quatre conditions, la démédicalisation de la première ligne serait inévitable.

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One Response to Editorial – Des stratégies contradictoires de médicalisation de la première ligne au Bénin : quel modèle faut-il choisir?

  1. tonouheoua oscar says:

    Cet éditorial n’est qu’une interpretation de la partie visible de l’ice-berg.
    Il urge de revoir les programmes d’enseignement dans nos universités du CAMES.Un accent particulier doit etre mis sur l’adequation entre la formation tant clinique que pratique et les defis de notre temps.A quoi servirait il de former des médecins bourrés de théories alors que les indicateurs de santé ne bougent pas parceque ces “praticiens” (qui ne sont en réalité que des théoriciens) ne sont pas operationels car dénués d’une formation pratique convenable.Cependant nos universités regorgent d’un pléthore d’agrégés qui se bouffent le nez à longueur de journées

    L’autre manche est d’amener les politiques à jouer leur rôle et ne pas politiser le domaine de la santé au détriment de l’état de santé de nos pauvres populations.L’homme qu’il faut à la place qu’il faut.Et un homme, une mission, des moyens.
    Certes nous avons du chemin, mais c’est déjà un début que nous jeunes, prenons conscience des enjeux de notre temps.

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