Par Jean-Louis Lamboray
Strengthen Community Involvement
by creating appropriate mechanisms for providing support and increasing self-reliance by strengthening the knowledge and skills of communities in solving health and development problems.
Source : Déclaration de Harare
Quel est sur l’objet de la Conférence de Harare +25 ? : S’agit-il de faire le point sur la décentralisation des services de santé prévue par Harare, ou s’agit-il de s’organiser pour soutenir un mouvement citoyen pour la santé en Afrique ?[i]
De la réponse à cette question dépendront l’agenda, le profil des participants et le format de cette réunion.
En 1987, l’année de la déclaration de Harare, la carte de l’Afrique porte une tache rouge pour marquer la présence du VIH autour des Grands Lacs ; un point rouge le signale en Côte d’Ivoire. Le reste du continent est vierge. 25 ans plus tard le constat s’impose : les districts sanitaires ont été incapables d’endiguer la propagation du VIH[ii].
Deux hypothèses peuvent être formulées pour expliquer cette incapacité : soit les dispositions de la déclaration concernant le district sanitaire n’ont pas été appliquées, soit ces dispositions sont insuffisantes pour garantir et promouvoir la santé des populations.
L’examen des progrès en réponse au sida en Thaïlande et en Ouganda au cours des années 90 permet de répondre à cette question : bien que nécessaires pour combattre le VIH et le SIDA, les services multisectoriels (santé, éducation, etc.) sont insuffisants. La pandémie a reculé là où les gens ont discuté du problème, reconnu qu’ils étaient concernés, réfléchi et agi pour s’attaquer à ses causes et pour réduire son impact sur la santé et sur la société[iii], [iv]. Vue du point de vue de la communauté, l’utilisation des services de santé est une action parmi d’autres pour faire face à l’enjeu du sida et pour en réduire son impact.
La description de l’implication communautaire dans le plan d’action de Harare (voir citation en sous-titre de cette note) aurait pu appuyer l’action communautaire. Cependant, elle a été réduite dans les faits à la participation des usagers et des bénéficiaires potentiels des services de santé à la planification des activités, à leur mise en œuvre et à leur gestion.
L’initiative de Bamako adoptée en 1987 par le 37e Comité Régional de l’OMS illustre cette interprétation[v]. Elle combine un certain niveau de recouvrement des coûts de la prestation d’un paquet minimum de soins d’une part, à la participation communautaire à la gestion de ces prestations d’autre part. Progressivement s’est ainsi installée une compréhension limitée de la santé, qui résulterait de la consommation d’un paquet de soins soigneusement sélectionnés pour le rapport entre leur coût et leur efficacité. Le monitorage de ces activités a pour but de veiller à l’efficience et à l’efficacité programmatique de ce paquet. Le rapport sur le développement dans le monde 1993 sur la santé illustre cette compréhension étriquée de la santé[vi]. C’est cette vue de la santé qui est diffusée dans le rapport « Pour une meilleure santé en Afrique », rédigée conjointement par une équipe réunissant OMS AFRO, UNICEF et la Banque Mondiale[vii] . Le rapport de l’OMS procède de la même vision.
Face à la montée en puissance des programmes verticaux beaucoup d’efforts ont été consacrés au plaidoyer pour l’intégration et à la continuité des soins, censées favoriser l’efficacité et l’efficience des services. Le plaidoyer pour l’équité de l’offre et de l’utilisation du paquet minimum selon divers critères, tels que le genre, l’appartenance ethnique, le niveau socio-économique, etc. s’inscrit dans cette logique.
La réduction productiviste de la compréhension de la santé selon laquelle cette dernière résulterait de la consommation de soins coût-efficaces semble bien ancrée dans les mentalités des « experts ». Ainsi, la personne, -sujet capable de donner le sens à sa vie, à ses relations et à ses actions- fait place au consommateur si possible éclairé de soins continus, intégrés et équitables. Cette dérive se traduit dans le langage officiel, qui utilise le terme « système de santé » pour désigner le sous-système « services de santé ». Mettons fin à cette confusion dans le langage. Il est connu depuis Illich que les services de santé n’ont qu’un rôle limité dans l’amélioration de la santé[viii].
Réhabilitons la santé. Affirmons donc sans ambiguïté : 1) que ce sont les personnes qui sont les acteurs principaux de la santé ; 2) qu’un ensemble de processus peuvent influencer leur santé, et 3) que le sous-système service de santé n’est qu’une ressource parmi d’autres qu’elles peuvent mobiliser. Cette triple affirmation est d’autant plus importante que dans de nombreux pays d’Afrique les maladies non communicables prennent le relais des maladies infectieuses. Les traitements préventif et curatif de ces conditions (Malnutrition, diabète, obésité, AVC, accidents de la route, violence tribale ou autre, catastrophes diverses) se trouvent principalement dans des modifications de comportement individuel, familial, et sociétal.
Même si l’atelier de Dakar prenait la décision de se restreindre à la seule décentralisation des services de santé, la question de la participation reste entière. En effet, la vue productiviste des services de santé déshumanise tant le soignant que la personne soignée, les uns et les autres étant réduits au rôle de main d’œuvre plus ou moins consentante au service d’objectifs nationaux et internationaux. Pour se persuader de la nécessité d’arrêter cette dérive et de réinjecter de l’humain dans la santé, il suffit d’examiner la souffrance croissante des personnes soignantes et des personnes soignées dans les systèmes de soin européens soumis à la loi impitoyable de l’efficience de la production des services[ix].
Une voie possible serait de remettre à jour et d’explorer plus avant le concept de « globalité » promu dans le cadre du projet Kasongo[x]. Ce principe voudrait que le service de santé s’inscrive dans les priorités de la personne, de sa famille et de sa communauté, et non l’inverse. Ainsi la participation serait non une modalité de gestion et de fourniture des soins, mais un honneur réservé par les communautés aux personnes soignantes respectueuses des processus individuels, familiaux et communautaires producteurs de santé.
Comment faire en sorte que les services de santé participent à la vie de la communauté, et non l’inverse ? N’y a-t-il pas là un grand champ d’exploration et d’action tout indiqués pour une conférence africaine, berceau de l’Ubuntu[xi] ? Cette exploration ne serait pas seulement pertinente pour les services de santé africains. Elle serait une source d’inspiration pour toute personne qui refuse de se limiter au rôle de consommateur dans un monde transformé en un gigantesque supermarché et qui aspire à jouer son rôle d’acteur capable de découvrir et de donner sens à sa vie, en harmonie avec ses proches et avec la nature.
[i] Voir l’interview de S Rifkin http://www.healthfinancingafrica.org/3/post/2012/11/srie-25-ans-de-linitiative-de-bamako-interview-de-susan-rifkin.html
[ii] Lamboray, JL et Elmendorf, Ed: Combating AIDS and Other Sexually Transmitted Diseases in Africa: A Review of the World Bank’s Agenda for Action. Africa Technical Department Series. World Bank Discussions Papers, November 1992.
[iii] HIV and Health Care Reform in Phayao, UNAIDS Case Study, April 2000
[iv] Banque Mondiale/ONUSIDA. Réponse à la crise du VIH/sida : enseignements tirés des meilleures pratiques mondiales : Expériences partagées par le Brésil, le Sénégal, la Thaïlande et l’Ouganda. Séminaire. Genève, 20-21 juin 2004. Disponible sur http://siteresources.worldbank.org/INTHIVAIDS/Resources/375798-1103037153392/RespondingFR.pdf
[v][v] The Bamako Initiative http://www.unicef.org/sowc08/docs/sowc08_panel_2_5.pdf
[vi] Banque Mondiale. Rapport sur le développement dans le monde 1994 : Investing in Health
[vii] Banque Mondiale Better Health in Africa: Experience and Lessons Learned , 1994, 260 p; “Pour une meilleure santé en Afrique , leçons de l’expérience »http://publications.worldbank.org/index.php?main_page=product_info&cPath=&products_id=20825
[viii] Illich Ivan Medical Nemesis. 1975. ISBN 0-394-71245-5, ISBN 0-7145-1095-5, ISBN 0-7145-1096-3. Modern medicine is a negation of health. It isn’t organised to serve human health, but only itself, as an institution. It makes more people sick than it heals
[ix] Fryns, Gerta et Paquet, Gaëlle L’’être humain dans les pratiques soignantes ; favoriser l’émergence du sujet Seli Arsan, 2012
[x] Pangu, KA [….]Le projet Kasongo http://lib.itg.be/open/asbmt/1990/1990asbm0s23.pdf
[xi] Définitions et interview de N Mandela http://en.wikipedia.org/wiki/Ubuntu_(philosophy)