Par Bruno Meessen, IMT Anvers Belgique
Dans ce blog post, Bruno Meessen revient sur les critiques qu’il a pu entendre sur le FBP. Il identifie 7 principales causes de désaccord et propose pour chacune, des pistes pour améliorer le débat.
A bientôt 15 ans d’engagement à promouvoir ce qui est devenu le FBP, j’ai bien sûr pu entendre les critiques les plus diverses à son égard. Ces critiques sont parfois prudentes et formulées sous forme de questions ou d’hypothèses, mais on sent parfois que le différend est plus profond. L’inconvénient alors est que l’auteur de la critique mélangera souvent différents types d’arguments. Si une telle stratégie peut être efficace comme technique rhétorique face à un auditoire spécifique, elle n’aide pas au débat.
Pour permettre un bon dialogue, je me suis rendu compte qu’il était important de décanter la nature de ces critiques en essayant d’identifier les causes sous-jacentes du désaccord. J’ai identifié sept motifs principaux ; à chaque fois on peut identifier une piste de solution.
1° motif : une base informationnelle différente
J’ai pu observer qu’une 1° cause possible du désaccord était une base informationnelle différente. Nous avons eu beaucoup de situations de ce type ces dernières années. Le plus exemplaire a été le débat qui s’est tenu l’été dernier entre les chercheurs qui ont fait leur revue Cochrane « depuis leur bureau » et les experts PBF qui ont répondu « depuis le terrain ». Face à un tel problème, la recommandation évidente est d’essayer de réduire le fossé informationnel. Cela peut se faire des deux côtés de la discussion. Je recommande par exemple aux commentateurs extérieurs d’aller voir une expérience FBP de leurs propres yeux. Peut-être découvriront-ils alors des aspects (positifs ou négatifs) qu’ils ignoraient. Dans l’autre sens, il est de la responsabilité des tenants du FBP à convertir au maximum leurs savoirs expérientiels en savoirs explicites, par exemple en décrivant les expériences FBP dans des documents écrits. Ils doivent aussi faire l’effort de comprendre la base informationnelle ‘adverse’, qui, comme l’a montré le débat de cet été, peut être en partie complémentaire. Le plaisir du dialogue c’est bien sûr d’apprendre mutuellement.
2° motif : des cadres d’analyse différents
Une 2° cause de désaccord peut découler de l’usage de cadres d’analyse différents. Quand je parle de cadre d’analyse, je fais référence à la définition qu’en a donné Elinor Olstrom (2005): “c’est le niveau analytique qui identifie les éléments et les relations entre ces éléments qu’on doit considérer pour une analyse”.
Dans la mesure où un cadre d’analyse influence très fort l’information que l’on va traiter, cette 2° cause est en relation avec la 1°. L’idée sous-jacente, est que face à une même information brute, deux personnes équipée avec des cadres d’analyse différents ne verront pas la même chose. Ici, la recommandation pour un bon dialogue est bien sûr d’expliciter son cadre d’analyse autant que faire se peut, afin de permettre à tous de le juger comme un élément propre (Quels sont les postulats sous-jacents ? Capture-t-il les éléments qui sont importants ? Est-il cohérent avec lui-même?). De notre côté, nous avons essayé d’être le plus explicite possible. J’ai notamment écrit une thèse de doctorat sur le sujet (pour une version simplifiée, voir l’article en anglais qui était présenté ici). Elle a permis, selon moi, de mettre en exergue les faiblesses de cadres analytiques antérieurs (qui ont façonné la vision politique d’une génération antérieure d’experts, votre notre point 6).
C’est sur cette base par exemple que j’écarte toutes les critiques qui sont faites sur le FBP à partir des expériences P4P faites en Europe ou des arguments tirés du Costa Rica ou de la Chine. Le FBP est bien plus qu’un strict provider payment mechanism ou un contrat de primes à la performance : c’est une révision substantielle des arrangements institutionnels structurant les systèmes de santé. La discussion doit se faire avec une bonne compréhension de l’ensemble de l’écheveau des institutions et du contexte. Discuter l’effet d’un contrat en faisant abstraction de l’ensemble des contrats dans lequel s’insère l’agent économique, ce n’est pas seulement de la mauvaise science économique, c’est aussi de la mauvaise science sociale.
3° motif : des choix normatifs différents
Une 3° cause de désaccord tire sa source dans ce que les économistes appelleraient des préférences normatives différentes. On pourrait ainsi imaginer le cas de figure où deux experts partagent information et grille d’analyse, mais se séparent au niveau de la conclusion politique à en tirer.
Ainsi, les personnes favorables au FBP pensent sans doute qu’il est juste que la règle « à chacun selon son effort (et la qualité de ce dernier) » soit appliquée au personnel de santé ; d’autres pourraient penser que la règle « à chacun selon ses besoins » est une règle qui tient également pour le personnel de santé.
Cette 3° cause de désaccord est plus difficile à gérer ; d’une part, parce que la question « qu’est-ce qu’une société juste ? » n’a pas de réponse unique, d’autre part, parce que cette cause de désaccord est parfois confondue avec le motif 2. Certains s’appuieront ainsi sur leur propre vision normative de l’homme pour rejeter certains cadres d’analyse (par exemple, une grille fondée sur les sciences économiques). A ce niveau, je recommanderais que l’on fasse la distinction entre 3 choses : ce que l’homme est vraiment, comment nous, scientifiques, le modélisons et enfin comment, à titre personnel, nous aimerions qu’il soit. Je ne dénie pas le fait qu’il y a des liens entre ces 3 éléments ; comme citoyen, je suis bien conscient que les propositions politiques inspirées par une grille économique, quand elles s’accumulent, ne sont pas neutres sur les valeurs sociétales ; mais je suis aussi convaincu que de telles grilles peuvent être, aujourd’hui, dans certains contextes, extrêmement utiles pour améliorer le bien-être des populations les plus vulnérables et que la justice nous dicte de nous préoccuper de ces derniers en priorité. Ce choix raisonné et pragmatique, je le crois profondément humaniste dans sa finalité ; j’ai donc décidé de le traduire en actes. A titre personnel, je préfère cette démarche à un discours faisant peut-être appel à une vision plus généreuse de l’homme, mais qui est, je crains, fondée sur une vision fantasmée de ce que l’humanité est et sera ces prochaines années.
4° source de désaccord : des démarches spéculatives aux trajectoires différentes
Dans la mesure où le FBP porte sur des systèmes sociaux complexes, il est inévitable que des larges zones indéterminées demeurent – celles-ci vont être comblées par des processus spéculatifs divergents – cela constitue une 4° source de désaccord.
L’idéal serait bien sûr de combler le trou dans les connaissances. La première recommandation dès lors est de concevoir un programme scientifique ambitieux. A cet égard, le FBP a la chance, grâce au Health Results Innovation Trust Fund, d’être richement doté. J’aime dire (sans l’avoir vérifié) que ce programme de recherche coordonné par la Banque Mondiale est probablement le plus important, en termes de taille, de l’histoire de l’économie de la santé.
Si je ne peux nier mon engagement comme entrepreneur politique en faveur du FBP, j’essaie d’y contribuer aussi comme scientifique, en menant des travaux empiriques (l’IMT s’est ainsi vu confier une étude d’impact à venir au Burundi), mais plus fondamentalement en soutenant les chercheurs désireux d’étudier le FBP. Nous co-organisons ainsi un atelier scientifique les 13-14 juin à Bergen, en Norvège. Certains des défis relevés par mon collègue Jean-Pierre Unger y seront discutés.
Mais je sais aussi qu’en politique de santé, la recherche n’a pas de réponses à tout : très souvent, cette dernière suit, avec retard, les développements politiques (cf par exemple, les politiques de gratuité en santé maternelle).
Il y a donc place pour une démarche spéculative, qui sera inévitablement polluée par la foi ou la méfiance personnelle. Ma recommandation serait de réduire la part d’émotionnel à ce niveau en formulant ce qui n’a pas encore été prouvé comme une hypothèse (et non comme un principe ou un fait). Cette recommandation est valable tant pour les champions du FBP que pour les critiques… et je pense qu’il y a du boulot à ce niveau.
5° source de désaccord : le conflit d’intérêts
La 5° source de désaccord est bien plus prosaïque (et nous ramène aux homo oeconomicus !): il s’agit des intérêts particuliers. Sur mes 15 ans de FBP, j’ai pu apprendre qui pouvaient perdre : il s’agit notamment de ces technocrates de l’aide, dont le métier est de trouver et mettre en place des solutions à la place des autres (avec toute la bureaucratie que cela impose), dont l’expertise va être rendue obsolète par le FBP, et qui se sont installés dans une zone de confort du type « dans les pays pauvres, les progrès viennent lentement » ; on les trouve notamment dans les agences qui n’ont aucune envie de changer leur mode opératoire (planifier, construire, équiper, former). Les perdants sont aussi parmi ces bureaucrates nationaux qui ont la fâcheuse tendance de vouloir tout contrôler, mais veillent à attribuer leur faible performance au contexte, au manque de ressources ou aux autres.
Les gagnants sont visibles aussi : le personnel de santé bien sûr, mais aussi les experts africains ou internationaux qui vont construire leur carrière sur le FBP : le FBP est en effet aussi devenu un énorme marché d’expertise (et nous nous réjouissons particulièrement que cette fois, ce sont les experts du Sud qui sont à la manœuvre).
6° source de désaccord : la sociologie du secteur de la santé internationale
Liés à ce 5° motif, on peut en déceler un 6° : une certaine sociologie de la santé internationale. Il y a bien sûr des exceptions, mais j’ai pu constater que les opposants au FBP se recrutaient souvent parmi une population d’experts plus âgés, souvent Européens. Je ne crois pas qu’une génération est plus intelligente que la précédente. Je crois qu’en santé internationale, nous construisons tous la part de spéculatif mentionné au point 4, sur base de valeurs (point 3), cadres d’analyses (point 2) et d’expériences (point 1) marqués par un certain temps, celui dans lequel nous avons commencé notre engagement professionnel. Il est évident que si vous avez pu, par exemple, construire des systèmes de santé locaux dans les années 80, sans avoir recours au FBP, vous savez que le FBP n’est pas nécessairement indispensable et vous espérez dès lors que votre boîte à outil conceptuelle et opérationnelle n’a pas perdu toute sa valeur. Vous pouvez aussi avoir développé une certaine affection pour vos solutions. Par contre, si vous souscrivez à la ‘culture du résultat’ contemporaine (cf. les OMD), les solutions du passé vont paraîtront effectivement comme nécessitant une révision. Ma principale recommandation à cet égard est de sortir de la caricature et d’essayer de se parler. A titre d’exemple, j’espère que lors de la conférence à venir sur le district de santé, des expériences FBP seront présentées. Une synthèse est possible.
7° source de désaccord : nos défauts d’humains
Peut-être n’aurai-je dû pas mentionner ce dernier motif, mais il existe bien un 7° terreau au désaccord : c’est le facteur humain. J’ai pu déceler chez l’un ou l’autre de l’incohérence avec soi-même : par exemple être critique du FBP, mais sur un plan opérationnel, essayer de faire du FBP soi-même. J’ai au moins croisé un expert (pro-FBP) têtu, qui refusait la collaboration avec tous les autres acteurs du FBP. J’ai aussi parfois observé, des deux côtés, une certaine part de mauvaise foi. Comme tenant du FBP, je suis en tout cas très mal à l’aise quand j’entends des visions trop roses du PBF, lorsque l’on cache les échecs ou lorsque la rhétorique va au-delà de la réalité. J’ai aussi vu des maladresses dans le dialogue du côté de certains tenants du FBP qui ont parfois radicalisé l’opposition d’acteurs stratégiques avec lesquels il fallait trouver une alliance. En bref, comme dans tout processus humain, on n’évitera pas une part d’egos qui s’entrechoquent. À ce niveau, je n’ai guère d’autres solutions que le dialogue, le respect de l’autre et l’introspection.
Conclusion
Le débat sur le FBP est crucial pour le bon devenir des systèmes de santé en Afrique en particulier. Nous avons passé un cap : la stratégie est désormais présente dans quasi tous les pays africains et nous recommandons donc à tous de se concentrer sur des contributions constructives susceptibles à ce que ces réformes soient bien menées, et amendées rapidement le cas échéant.
La stratégie est perfectible et devra continuer à évoluer : un système de santé doit être vu de façon dynamique, et les arrangements institutionnels qui le structurent doivent être revus quand leurs inconvénients dépassent leurs bienfaits.
Critiques comme tenants du FBP, veillons à mieux organiser la discussion… ce sera pour le meilleur des populations que nous avons tous à cœur.
Le Financement basé sur la performance
Quel financement pour quelle performance ?
J’aurais envie de commencer ces écrits par « encore un autre concept pour quoi faire ? Ou du moins un autre concept pour dérouter nos politiques de santé actuelles ». Le concept de financement basé sur les performances est apparu dans les pays africains assez récemment ? les débats sont en cours, des initiatives parcellaires avec des résultats mitigés.
Face à cette situation, je me suis toujours posé deux questions essentielles : quel types de financements et pour quels résultats ?
Que représente le secteur de la santé dans nos politiques de développement en Afrique ? La situation économique des pays africains est connue. Les choix des responsables politiques sont souvent guidés par des injonctions extérieures et autres contraintes budgétaires.
Alors quel type de financement ?
A cette question, l’on serait tenté d’affirmer simplement qu’il faudrait un peu plus d’argent ou de moyens financiers dédiés à la santé et tout serait réglé. L’on est habitué à voir des politiques ou c’est l’état qui est chargé de « tout faire » à la limite de ses moyens. Les financements sont verticaux. L’état alloue « l’argent » nécessaire à financer les soins de santé majoritairement curatifs. L’état envoie également de personnel de santé selon un paquet d’activité fixé au niveau central et les choses sont censées évoluer dans cet ordre ; toutes modification de ce dispositif reste difficile. Ne faudrait-il pas une autre façon de faire ?
Les besoins de financement ne devraient-ils pas venir de la base ? les communautés devraient encore plus être impliquées dans le choix des priorités, du personnel requis et des orientations de la politique de santé à l’échelle de la communauté. Le financement devrait être participatif. L’état qui alloue des ressources humaines, moyens matériels et financier, la communauté qui alloue autant des moyens humains, matériels et financiers. Il faudrait donc une plus grande participation de cette communauté à tous les échelles de la prise de décision, de la gestion, du suivi des activités de santé dont elle est la première bénéficiaire. Une « certaine » autonomie de financement et de gestion de la communauté reste primordiale. Les besoins de financements ne devraient plus être décidés dans les capitales avec souvent des concepts d’économie de la santé déconnectés des réalités locales. La forme de ce dispositif reste à adapter selon les pays, les régions et les formes de participation communautaire.
Cette évolution managériale pourrait permettre d’aboutir à des performances mesurables et quantifiables. Mais nous avons été régulièrement confrontés à ce dilemme concernant ces performances. De quel type de performance s’agit-il ? Qu’appelons-nous performance ? s’agit-il des performances recherchées selon les besoins sanitaires de la communauté ou s’agit-il des performances édictés dans les plans quinquennaux ministériels souvent mal adaptés aux évolutions sociétales et des problématiques sanitaires de l’heure ? Il faudrait à mon sens que ces performances répondent aux besoins curatifs, préventifs et promotionnels en matière de santé de la communauté. La performance ne devrait pas seulement être liée aux nombre de cas de paludisme diagnostiqués et traités, au pourcentage de femmes enceintes césarisés dans le centre de santé ou autres…Cette performance doit aussi prendre en compte des aspects de promotion de la santé à long terme. Il pourrait s’agir des aspects liés au changement de comportement, de la nutrition, de la prise en compte du genre et autres… Les résultats de ces aspects se démontrent à moyen ou long terme. Cela pourrait expliquer l’insuffisance de leur prise en compte dans les politiques ou les pressions diverses contraignent à vouloir des résultats immédiats. Le problème est que de ces résultats dépendent les financements futures. Etant donné que nos pays dépendent essentiellement de ces financements extérieurs alors !!!!!
C’est tout juste ma petite contribution au débat. Merci