Les guerres du 21e siècle : une privation des ressources pour les systèmes de santé des pays pauvres
Alors que le monde avait cru que les deux guerres mondiales de 1914 et 1940 devraient donner des leçons pour résoudre pacifiquement les problèmes entre les hommes, on assiste de plus en plus à l’usage par la communauté internationale de la force armée. Celle-ci a permis dans certaines situations de servir de forces d’interposition entre des protagonistes pour justement éviter la guerre, mais dans la majorité des cas, elle participe directement aux hostilités. La guerre est devenue de plus en plus sophistiquée du fait des progrès scientifiques. Les coûts des armes sont bien sûr exorbitants. Ainsi, un missile Tomahawk coûte au moins 500 000 US$, un char Leclerc à 16 million $, le char américain M1A1 à 5 million de $… Il n’est point nécessaire de comparer ces prix avec celui des prestations de santé dont l’objectif principal est de prévenir, promouvoir, restaurer, ou maintenir la santé et préserver la vie.
Ces guerres du 21e siècle se déroulent essentiellement dans les pays pauvres, déjà affaiblies par les conditions sociales et économiques précaires. Les faibles systèmes de santé font face à un double défi : celui des maladies infectieuses, endémiques ou épidémiques et celui des maladies cardiovasculaires de la transition épidémiologique dont la prévalence ne cesse de croître au sein des classes moyennes. Des efforts sont faits, mais restent insuffisants en particulier dans les zones rurales où les services de santé sont souvent sous-équipés avec un personnel insuffisant. L’insuffisance du financement et parfois leur mauvaise utilisation sont les principales raisons de cette incapacité des systèmes de santé de ces pays à offrir les soins de qualité aux populations.
En effet, les budgets locaux alloués à la santé sont faibles. Une partie du financement dépend donc des pays riches à travers l’aide bilatérale ou multilatérale, ou à travers les Initiatives Globales de Santé. Mais, les ressources astronomiques des guerres sont plus facilement trouvées et réduisent celles que ces mêmes bailleurs devraient allouer à la santé. Cette facilité de financement des guerres nous fait questionner des agendas qui pourraient se cacher derrière – contrôle géopolitique, exploitation des ressources minières et pétrolières, vente d’armes par des multinationales. Malheureusement, les guerres détruisent les maigres ressources de ces faibles systèmes de santé et aggravent alors les dysfonctionnements : destructions des formations sanitaires, perte de personnels de santé, déplacements des populations…
L’être humain devrait avoir plus de dignité et respect de la vie. Les droits de l’homme, les libertés individuelles et collectives et le respect de ces droits par les Etats sont les conditions essentielles pour limiter l’usage de la force. Les pays riches ont compris après 1945 et résolvent aujourd’hui leurs problèmes uniquement par la diplomatie. La bonne gouvernance devrait permettre à tous les pouvoirs dans les Etats de jouer pleinement leur rôle et garantir les droits de l’homme. Les divisions ethniques des pays pauvres créent le lit de guerres actuelles et futures. Une distribution équitable des ressources de l’Etat devrait permettre à tous ceux qui vivent dans un pays d’avoir le sentiment d’appartenir à une même nation, un même peuple pour qu’il n’y ait pas de différence entre un originaire de l’est, de l’ouest, du nord, du sud ou de n’importe quelle partie du pays. Ainsi, agendas cachés ou pas, les guerres actuelles ne seraient plus lues que dans les livres d’histoire et les financements seraient alors alloués de façon adéquate aux systèmes de santé.
Cette semaine et les deux prochaines semaines, nous avons demandé aux participants du cours de politique de santé de l’IMT de bien vouloir résumé et commenté les articles publiés dans la version en anglais de la lettre. Nous les remercions pour leur collaboration et espérons qu’ils auront trouvé l’exercice intéressant.
Basile Keugoung, Isidore Sieleunou, David Hercot, Kristof Decoster, Josefien Van Olmen & Wim Van Damme
Global Health Governance
1. JAMA – Reforming the World Health Organization
D. Sridhar & L. Gostin; http://jama.ama-assn.org/content/early/2011/03/25/jama.2011.418.full
Depuis décembre 2010, un débat a été lancé par l’ancien Directeur adjoint de l’OMS Jack SHOW sur le rôle actuel de l’OMS ainsi que ses capacités à répondre aux défis actuels en matière de santé. Il ressort des consultations faites auprès des Etats membres que cette Agence des nations Unies, dotée des larges pouvoirs normatifs et de coordination de la santé internationale fait face à une grave crise de leadership. Sa configuration actuelle ne lui permet pas de répondre de manière efficace aux attentes et d’atteindre ses objectifs, à tel point que des questions se sont posées sur sa pertinence. L’apparition d’autres acteurs majeurs tels que les Fondations et les Initiatives mondiales pour la santé (Fonds Mondial, GAVI, PEPFAR, …) soumet l’OMS à des pressions politiques et rend ses relations avec la société civile et les industries incertaines.
Cependant, compte tenu de l’importance de la coopération mondiale dans la santé, plusieurs acteurs sont d’avis que le monde a besoin d’une OMS plus forte et plus efficace.
En l’absence d’autres alternatives à l’OMS pour la régulation de la santé mondiale, cette Agence doit faire preuve de plus d’audace en procédant à des reformes internes fondamentales afin de garantir son avenir et ainsi s’adapter à un nouveau climat politique. Ceci lui redonnerait le leadership mondial pour produire des meilleurs résultats.
Les auteurs nous proposent cinq réformes majeures à faire au sein de l’OMS à savoir :
– Donner plus de voix aux multiples acteurs
– Améliorer la transparence, la performance et la redevabilité
– Renforcer le suivi des Régions en effectuant plus de contrôle et de supervision
– Exercer plus d’autorité en tant qu’organe régulateur
– Assurer un financement prévisionnel et durable
Commentaire de Pacifique Mushagalusa, participant au cours de Politique de Santé à l’IMT. La crise que connait actuellement l’OMS fait suite entre autres à sa lourdeur administrative/bureaucratique, aux problèmes de gouvernance, ainsi qu’au manque d’adaptation au nouveau contexte marqué par l’émergence de nouveaux et puissants acteurs dans le secteur de la santé. Il y a donc nécessité de procéder à des réformes approfondies au sein de cette agence afin qu’elle s’adapte à ce nouveau contexte sanitaire mondial. Ces réformes organisationnelles et gestionnaires devront permettre à l’OMS de se concentrer sur son rôle de coordination, de régulation et d’appui technique aux pays.
Elle devrait donc éviter de s’éparpiller dans la mise en œuvre des interventions sur terrain comme une ONG.
Global Health Policy & Financing
2. Humanosphere – Why is mental illness so low on the global health agenda?
Récemment à Seattle, a été organisé un atelier sur l’analyse des données statistiques des principales causes de morbi-mortalité et d’invalidité dans le monde.
Les chiffres montrent que la mortalité maternelle a diminué. La pathologie mentale quand à elle constitue la 4ème cause d’invalidité et la 10ème cause des décès. Le suicide à lui seul est trois fois plus élevé que la mortalité par accouchement chaque année dans beaucoup de régions comme l’Inde et la Chine. Certains professionnels pensent que cette pathologie est sous-évaluée chez les enfants parce que négligée. Les experts déplorent les abus envers les malades mentaux (même dans les structures des soins : ligotage, enfermement,…). Ils affirment également que beaucoup de ces pathologies relèvent du stress et de la dépression et que le traitement est souvent simple ( psychothérapie, médicaments courants). Des expériences positives en Iraq, en RDC et au Cambodge prouvent que l’intégration des services de soins mentaux est possible.
Actuellement, il existe un plaidoyer dans ce sens, à l’exemple des activistes de lutte contre le SIDA, pour faire valoir les droits des malades mentaux. Les auteurs estiment que les preuves (statistiques) existent et qu’il est temps de changer les cœurs et les esprits.
Commentaire de Paul-Claudel Rubeya, participant au cours de Politique de Santé à l’IMT.
La pathologie mentale reste mal explorée dans les pays pauvres pour diverses raisons. Les maladies concernent une catégorie des « sans-voix » de par leur état et du fait du stigma élevé qui les entoure. Par exemple au Burundi, la maladie est méconnue de la population générale et très peu de professionnels sont qualifiés pour sa prise en charge, rendant ainsi difficile l’émergence du problème sur l’agenda politique.
Les statistiques produites dans le rapport « Global Burden of Disease » sont importantes pour une prise de conscience. Il y a une urgence pour les policymakers d’utiliser effectivement ces données pour organiser les soins de santé mentale. Les ressources dans les pays à faible revenu sont insuffisantes pour développer les services de santé mentale spécialisés à tous les niveaux. L’intégration des soins de santé mentale dans les services de santé généraux est une étape importante pour garantir la prise en charge adéquate des patients.
3. Lancet – A better understanding of mortality in young people
Michael D. Resnick; http://www.lancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(11)60412-1/fulltext
Pour mieux comprendre la mortalité parmi les jeunes, Viner et Coll. ont travaillée sur des données disponibles provenant de 50 pays à travers le monde. Ils ont rappelé à cette occasion les 4 étapes nécessaires en santé publique pour mettre un problème sur l’agenda. L’organisation des ressources et la création des alliances sont une étape plutôt politique comparée aux trois premières qui elles sont techniques. Les résultats de cette étude ont montrée que la mortalité (toute cause confondue) des jeunes hommes (15-24 ans) était deux à trois fois plus élevée que celle des jeunes garçons de 1-4 ans. Par contre, la mortalité des jeunes femmes (15-24 ans) était comparable a celle des jeunes filles de 1-4 ans.
Ils montrent ainsi que les adolescents et les jeunes adultes n’ont pas bénéficié autant que les enfants de la grande transition épidémiologique survenue au cours des 50 dernières années pendant laquelle les maladies non transmissibles et les accidents ont supplanté les maladies transmissibles.
Dans les pays en développement, les jeunes représentent plus d’un tiers de la population. Les auteurs montrent que la mortalité chez les jeunes âgés de 10-24 ans a attiré moins l’attention des initiatives internationales de santé et des interventions qui ont si efficacement réduit la mortalité de la petite enfance à travers le monde. D’où la nécessité d’un engagement réel mondial sur la santé et la mortalité des adolescents et jeunes adultes.
Commentaire de Mayala Mabasi, participant au cours de politique de santé à l’IMT.
Les auteurs ont traité d’un sujet vital. Par exemple, la RDC comme pour beaucoup d’autres pays d’Afrique subsaharienne a un fort taux de croissance (près de 3%). Avec une population estimée a 64.420.000 (2010), la mortalité infanto-juvénile est passée de 192 et 220 décès pour 1000 naissances vivantes entre 1990 et 2001. Ce qui représentait 450.000 à 500.000 décès chaque année dans cette tranche d’âge pour une population estimée à 58.3 millions d’habitants. Ce taux est estimé aujourd’hui à 148‰.
Les politiques déclarent à qui veut les entendre que la jeunesse est l’avenir du pays. Mais de quelle jeunesse parlent-ils ? Ceux qui de plus en plus sont laissés sur le pavé en déperdition scolaire, vivant dans la rue, un IDH à 0,239 (parmi les plus faibles de la planète), une durée de scolarité moyenne de 3,8 années sur les 7,8 années attendues. On ne peut pas construire un pays seulement par le nombre des jeunes, encore faut-il qu’ils aient eu l’opportunité de profiter d’une vie de qualité (par l’éducation, l’accès aux soins de qualité, un travail productif…) comme bien d’autres sous des cieux paisibles.
4. Jama (Commentary) – US Global Health Strategy -Promoting Healthy Development
Jean-Paul Chrétien; http://jama.ama-assn.org/content/305/12/1238
Sous l’impulsion d’Obama, les USA vont allouer 63 milliards de dollars dans une nouvelle stratégie de financement de la santé : l’initiative pour la santé mondiale.
En plus de l’amélioration des résultats dans la lutte contre les problèmes récurrents de santé, cette stratégie visera les problèmes émergents faisant obstacles au développement et à la croissance économique mondiale.
Parmi ces problèmes de santé figurent : les maladies chroniques non-transmissibles en hausse suite au changement de style de vie des populations ; les risques liés à la pollution atmosphérique; les accidents de circulation ; les troubles neuropsychiatriques.
La mise en œuvre effective de cette stratégie suppose des actions politiques au niveau des états bénéficiaires telles que : une combinaison entre le maintien des programmes de santé existants et la lutte contre ces problèmes de santé émergents ; un recours aux instruments juridiques internationaux ou à des accords afin d’imposer des changements politiques favorables d’un développement sain ; un éveil de l’intérêt pour les politiques de développement sain favorisant santé publique et croissance économique.
Pour lutter contre d’éventuelles résistances, les USA devront convaincre les états partenaires des bénéfices à long terme de cette approche sur le plan socio-économique.
Commentaire de Serge Mayaka, participant au cours de politique de santé à l’IMT :
La santé est devenue une question d’intérêt mondial d’où la création de nouveaux instruments de financement de l’aide au développement. L’initiative pour la santé mondiale veut aider certes les pays partenaires à améliorer les résultats dans le domaine de la santé en renforçant les systèmes de santé ; mais elle vise surtout à réduire les risques du nord en finançant les problèmes du sud. Il y a donc un mélange des intérêts du pays donateur et des pays qui vont implémenter. De plus, pour les Etats-Unis cela constitue un excellent moyen, quoique couteux, pour améliorer leur image à l’étranger.
5. WHO report – The Abuja declaration – ten years on
http://www.who.int/healthsystems/publications/Abuja10.pdf
En 2001 à Abuja, les chefs d’Etat d’Afrique se sont engagés à consacrer 15% de leur budget annuel au secteur santé. Ils ont exhorté les pays donateurs de l’OCDE d’augmenter leur aide publique au développement à 0,7% de leur PIB.
Bien que plusieurs pays aient augmenté la proportion de leurs dépenses publiques de santé depuis 2001, seuls l’Afrique du Sud et le Rwanda ont atteint les 15%. Entre 2001 et 2011, la médiane des dépenses de santé per capita est passée de 10 à 14 $ US et il serait difficile d’atteindre les OMD avec des dépenses aussi faibles. D’autre part, seuls 5 des 22 pays de l’OCDE ont atteint l’objectif de 0,7%, la moyenne étant de 0,4%.
Selon l’OMS une meilleure gestion de l’aide pourrait amener les dépenses de santé par habitant à 61 $ US, proche du niveau estimé pour l’atteinte des OMD. Il ressort du rapport mondial sur la santé 2010 que 20 à 40% des ressources sont gaspillées. En 2007 selon le FMI, pour chaque dollar transféré à l’Afrique subsaharienne pour la réduction de la pauvreté de entre 1999 et 2005, seulement 0,27 $ US ont été réellement utilisés pour cet objectif. Au cours de la décennie, les ressources financières pour la santé ont augmenté, cependant il n’ya pas eu de progrès notables sur la santé des populations. Il est important de réaffirmer la nécessité pour les gouvernements de s’engager effectivement pour l’amélioration de la santé de leurs populations.
Commentaire de Madina Konate, participante au cours de politique de santé à l’IMT :
En l’Afrique, le chemin semble encore long pour l’atteinte des OMD. Avec des ressources aussi limitées, il est important pour les pays de fixer les priorités et de rechercher les stratégies les plus efficientes pour offrir des soins de qualité aux populations. Les pays devraient également rechercher de nouvelles sources –locales ou extérieures- de financement. La bonne gouvernance est une condition sine qua none pour l’augmentation de ces ressources et l’efficience.
6. Lancet – Ageing faster with AIDS
Edward J. Mills et al.;
http://www.lancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(10)62180-0/fulltext
La réponse à la pandémie du SIDA en Afrique aussi bien à travers le traitement que la prévention, a désavantagé les personnes âgées au profit des populations dites plus vulnérables (femmes, enfants, patients à statut immunologique médiocre). Il paraît évident maintenant que les pathologies liées au vieillissement autrefois de faible importance, sont aggravées dans le contexte de VIH/SIDA et deviennent des causes majeures de décès et d’altération de la qualité de vie des personnes âgées. Les différents systèmes de surveillance de l’épidémie se sont toujours focalisés sur les sujets de 15-49 ans, occultant ainsi la situation des personnes âgées de plus de 50 ans actives sexuellement.
Contrairement aux pays riches, très peu de pays africains ont prévu des services pour les personnes âgées VIH+ dont le nombre est en nette augmentation. Ces personnes résident en général dans les zones rurales où l’offre de soins est limitée, les services de gériatrie sont faibles, et les soins de réhabilitation sont quasi inexistants.
Le véritable défi pour ces pays est la création de programmes de gériatrie lié au SIDA au sein de systèmes déjà surchargés par le fardeau d’une multitude de problèmes de santé.
Commentaire de Caroline Medouane, participante au cours de Politique de Santé à l’IMT.
La gériatrie fait figure de parent pauvre dans l’organisation des services de santé en Afrique. L’amélioration de la prise en charge globale du VIH/SIDA a pour corollaire un allongement substantiel de l’espérance de vie des malades, dont les pays doivent tenir compte dans l’élaboration de leurs politiques de santé. Dans un souci de justice sociale et d’équité en santé, des soins de santé devraient être disponibles le plus proche possible des personnes âgées. Mais comment rendre disponibles des soins gériatrique spécifiques au VIH/SIDA à des populations âgées vivant en zones rurales où l’offre de soins de base est limitée ? De plus en contexte de rareté des ressources pour la santé comme c’est le cas dans ces pays, la priorisation des services pencherait en faveur d’investissements dans le capital humain au détriment de la gériatrie et de ses spécialités.